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Reportage

« Il est possible d’apprendre même à presque 40 ans »

En quelques années, une mère de quatre enfants sans qualifications et dénuée des compétences de base les plus élémentaires a trouvé du travail et un nouveau sens à sa vie après avoir suivi les cours de l’association Lire et Ecrire. Devenue aide-soignante au chevet des aînés frappés par la pandémie de Covid-19, elle témoigne de son incroyable parcours.

©Insertion Vaud

« Je m’appelle Laura Darbelley, j’ai 40 ans, et il y a cinq ans je ne savais même pas écrire le mot ‘bonjour’. Je ne pouvais pas lire mon courrier, je ne savais pas payer une facture, et j’étais incapable de remplir un formulaire. Quand mes enfants faisaient leurs devoirs, je les gardais, mais je ne comprenais rien, et ils devaient s’aider entre eux. »

Aujourd’hui Laura est auxiliaire de santé dans un foyer pour personnes âgées, elle utilise quotidiennement l’informatique pour renseigner l’état des pensionnaires, est active sur la plupart des réseaux sociaux et a obtenu son permis de conduire avec un sans-faute à l’examen théorique. Récemment, elle a même montré quelques astuces sur Word à son fils aîné...

Tous ces petits miracles ont une source : les cours de l’association Lire et Ecrire, que Laura a suivis de 2016 à 2019, début d’une nouvelle vie où tout s’est accéléré.

Une jeunesse roumaine

Retour au début de l’histoire. Laura est née en 1980 dans un petit village de Roumanie au sein d’une famille de sept enfants. Elle quitte l’école à 14 ans et apprend le métier de couturière, sans passer de diplôme officiel pour autant. « Chez nous, à 18 ans on était déjà considéré comme vieux, alors je me suis mariée très tôt et à 20 ans j’ai eu mon premier enfant, puis très vite ensuite sa sœur est née. »

Cependant, le couple ne tient pas. La situation économique difficile la pousse à aller chercher du travail en Italie. Elle est alors âgée de 25 ans, et laisse pour cela ses deux petits à sa mère. Pendant deux ans, elle fait toutes sortes de métiers, s’occupe des enfants des autres comme fille au pair, puis entre comme serveuse chez un glacier à Rimini, où elle rencontre son futur nouveau mari, un Valaisan en vacances.

« Nous avons vécu une belle histoire, mais j’étais encore officiellement mariée, alors je suis rentrée en Roumanie mettre mes papiers en ordre, prendre mes enfants, et je suis arrivée avec eux en Suisse en 2008 pour me remarier. J’étais déjà enceinte et j’ai eu mes deux autres enfants ici, à Villeneuve, où j’ai appris à parler le français. Mon mari travaillait et je m’occupais parfois également de son fils adolescent et de l’enfant de sa fille qui était déjà mariée. J’étais un peu la maman de tout le monde ! »

Tout recommencer

En 2014, « ça a mal tourné, on s’est séparé ». Elle se retrouve seule avec quatre enfants sans avoir jamais travaillé en Suisse et incapable de déchiffrer le français. « Par exemple, dans le mot ‘quand’, il y a une lettre qu’on n’utilise pas en Roumanie, le Q, et une lettre qui ne se prononce pas, le D. J’en faisais des cauchemars ! » A ce moment-là, elle pense quitter la Suisse pour rejoindre ses sœurs en Italie. Un avocat lui explique alors qu’elle a droit à l’aide sociale. « Moi j’étais en bonne santé, je voulais travailler ! Mais sans diplôme, qu’est-ce que je pouvais faire ? » C’est finalement son assistante sociale qui l’inscrit en mesure auprès de Lire et Ecrire. « Et c’est là que j’ai repris confiance en moi pour aller plus loin. »

A raison de deux à trois demi-journées par semaine, elle apprend les rudiments et les subtilités de cette langue complexe qu’est le français oral et écrit. « Les formatrices ne m’ont pas lâchée ! C’est grâce à elles que j’ai pu passer mon permis de conduire, avec elles aussi que je révisais mes cours Croix-Rouge. » Car entre-temps, à l’occasion d’un stage d’intendante dans un EMS, Laura a eu « un déclic : ce que j’aime, c’est aider les gens ! » Elle suit donc les 180 heures de formation nécessaires pour devenir aide-soignante et obtient son certificat Croix-Rouge en 2019, la même année que son diplôme de Lire et Ecrire.

De l’intérim au contrat fixe

A partir de là, tout s’enchaîne. Engagée par une société d’intérim, elle multiplie les missions à travers le canton de Vaud. « Partout on voulait me prendre, mais c’était à chaque fois trop loin de chez moi. Et puis j’ai été envoyée à l’EMS Joli-Bois, à 20 minutes de la maison en voiture. Et ça se passe vraiment bien. En février prochain je passerai en contrat fixe à 70%, et ensuite j’aimerais bien essayer de faire le papier pour devenir assistante en soins et santé communautaire. »

Quand elle parle des pensionnaires dont elle s’occupe, une buée d’émotion recouvre ses pupilles. « On apprend beaucoup des personnes âgées... Avec le Covid, actuellement, c’est dur ! Sept patients sur cinquante-huit sont décédés. Les malades d’Alzheimer ne comprennent pas ce qui se passe. Ils n’ont quasiment plus de visites et ne voient même plus notre visage à cause du masque et de la visière. L’autre jour, un monsieur que j’aimais beaucoup est décédé à l’âge de 77 ans seulement. J’ai pleuré. On s’attache, même s’il ne faut pas. Mais on n’est pas des robots... »

Envie d’avancer

En regardant en arrière, Laura s’émerveille à juste titre du chemin parcouru. « Tout cela je l’ai voulu et j’ai réussi ! En Suisse, l’Etat aide beaucoup, mais je n’aime pas être contrôlée, et j’ai toujours envie d’avancer, de progresser. Je pense que c’est un bel exemple pour les enfants. Je leur ai montré qu’il est possible d’apprendre même à presque 40 ans, et que sans diplôme on ne va pas loin. Ils ont compris le message et je suis fière d’eux. Je souhaite à tout le monde d’avoir des enfants comme les miens ! »

De même, on souhaite à tous les organismes d’insertion d’avoir des participant-e-s comme Laura Darbelley. Prochain objectif : la naturalisation. Elle a déjà obtenu le « passeport des langues », évaluation indispensable pour déposer une demande en tant qu’allophone. Un succès de plus pour cette battante qui ne savait pas écrire le mot ‘bonjour’. « Même si je garderai toujours mon accent ! », dit-elle dans un lumineux sourire.

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