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Reportage

Le job speed dating se répand à grande vitesse dans le domaine de l’insertion professionnelle

La même semaine, au moins deux événements organisés par des organismes membres d’Insertion Vaud ont réuni des jeunes en recherche de stages et de places d’apprentissage avec des employeurs potentiels de différentes branches d’activité. Sur le mode de l’entretien express, les futurs apprentis avaient quelques minutes pour convaincre les entreprises de leur donner une chance. Reportage à Payerne et Lausanne sur une formule en plein essor, qui répond autant aux besoins des demandeurs d’emploi qu’à ceux de l’économie.

Ils se sont faits beaux comme pour aller au bal. Mais c’est pour une danse d’un autre genre que la salle des fêtes de Payerne était réservée, le jeudi 15 novembre 2018. Quelque 70 jeunes hommes en chemise parfaitement repassée et jeunes femmes finement maquillées avaient rendez-vous avec une quinzaine de patrons ou responsables RH de petites, moyennes et grandes entreprises. Objectifs : s’exercer à un entretien d’embauche, glaner des informations sur certains métiers, et surtout décrocher la promesse d’un stage, voire plus si affinités…

Au rythme du gong qui marquait le début et la fin des entretiens toutes les sept minutes, la tension était vive du côté des bénéficiaires suivis par la Fondation Cherpillod, organisatrice de cette soirée. Du côté de son équipe de coaches, qui couvaient du regard leurs jeunes protégés, l’attention était presque aussi intense. Spécialisée dans l’accompagnement d’adolescents et jeunes adultes en difficulté, la Fondation Cherpillod préparait l’événement depuis plusieurs mois, le second en date après une première édition réussie en 2017 qui avait abouti à un stage pour 30% des participants et une place d’apprentissage pour presque 10% d’entre eux.

«Hors de question que je passe l’année prochaine sans rien faire !»

Pour Prunelle, une grande jeune fille brune à l’air décidé, ça a l’air de s’être plutôt bien passé. Elle ressort de son dernier entretien avec un grand sourire – et également un très grand soupir. Elle vise un apprentissage de «GCT». Traduction : gestionnaire de commerce du transport. «C’est mon plan B, car en fait je rêve d’être art-thérapeute, mais ça c’est pour plus tard. Et il est hors de question que je passe l’année prochaine sans rien faire !», affirme-t-elle.

«Beaucoup de jeunes recherchent un apprentissage dans la vente parce que c’est un domaine visible et connu dans lequel ils peuvent se projeter», explique Tatjana Wasloff, responsable de Coach’in, une des structures de la Fondation Cherpillod. Il est plus difficile par contre de leur faire envisager des métiers comme opérateur sur machine automatisée (OMA). Une entreprise de ce secteur qui était prête à venir ce soir n’a finalement pas été retenue par manque d’intérêt des candidats à l’apprentissage.

Pour les employeurs, ces forums emploi sont l’occasion de promouvoir les métiers et les formations proposés au sein de leur structure, de rencontrer des candidats potentiels et d’offrir des conseils expérimentés. Certains le font par vocation sociale, d’autres en raison d’une pénurie de main d’œuvre, et la plupart pour un mélange des deux raisons.

«Deux candidats sont sortis du lot, dont un que j’engagerais demain»

Parmi les exposants de ce soir, la société Clot Constructions SA a terminé ses auditions avant les autres. Son directeur technique, Sébastien Burkhalter, a vu sept jeunes en moins de deux heures : «Deux sont sortis du lot, dont un que j’engagerais demain mais il voudrait plutôt faire de la peinture…» Actuellement son entreprise forme cinq apprentis, dont deux provenant du SeMo, une mesure de transition entre l’école et le monde du travail que propose également la Fondation Cherpillod. «Et un des deux est même premier de sa classe !», relate fièrement le maître d’apprentissage, comme pour démolir les préjugés à l’encontre des jeunes en difficulté.

A une autre table, Daniel Delaloye, responsable de l’information professionnelle chez Login, qui forme les futurs employés des CFF et d’une cinquantaine d’entreprises de transport, affirme lui aussi que son organisation cherche à recruter. Il a vu dix candidats dans la soirée, «dont certains très bons et d’autres peu motivés. Certains étaient nerveux, mais ça s’est bien passé, et c’est super, ça leur montre qu’on ne va pas les manger ! Nous avons un rôle important à jouer pour leur donner un feed-back», insiste-t-il.

Pour augmenter l’attrait des métiers qu’il représente, Daniel Delaloye est venu accompagné de deux apprentis, dont Jean-Jacques, qui commence à être rôdé à l’exercice. Les deux hommes étaient déjà présents, le lundi précédant, à Lausanne chez Connexion-Ressources, une entité de la société coopérative Démarche, qui organisait également pour la deuxième année consécutive une Journée Entreprises avec une partie speed dating entre une cinquantaine de jeunes et six employeurs-formateurs le 12 novembre.

«Certains employés finissent par monter leur propre boîte de nettoyage»

A cette occasion, Jean-Jacques a expliqué aux jeunes présents, tous à l’aide sociale et en recherche d’emploi, l’importance de poser des questions lors des entretiens, et de s’y préparer en se renseignant sur l’entreprise. Il leur a aussi fait entrevoir de sérieuses possibilités d’évolution dans des métiers peu attractifs, comme agent de propreté, où «certains employés finissent par monter leur propre boîte de nettoyage», assure-t-il.

Pour inciter les jeunes à les rejoindre, les entreprises ont rivalisé de déclarations sur les avantages à les choisir comme employeur : un abonnement général aux CFF pour les apprentis de Login, une prime pour chaque CFC obtenu au CHUV, ainsi qu’une place de travail quasiment garantie à l’issue de la formation chez certains employeurs.

Ana Soares, responsable de la gestion de l’apprentissage au sein de l’hôpital vaudois, plus grand employeur du canton, précise n’avoir qu’environ 100 places par année pour 3000 demandes. Mais elle avoue aussi que certaines professions sont moins attractives que d’autres, comme celles liées à l’intendance. «C’est pourtant primordial pour les patients d’avoir des salles d’opération vraiment propres et stériles», déclare-t-elle aux jeunes afin de les amener à voir la mission sous un autre jour.

Pour ceux à qui l’apprentissage standard fait peur, elle vante l’existence de l’AFP, l’attestation fédérale de formation professionnelle, un cursus de deux ans, moins exigeant que le sacro-saint certificat fédéral de capacité. «C’est une voie possible pour ceux qui ont décroché. 99% des apprentis qui ont commencé chez nous avec un AFP ont ensuite pris la passerelle vers un CFC», affirme Ana Soares.

«Nous le faisons pour le côté social, mais aussi parce que nous avons de la peine à vendre certains métiers»

A la fin de la séance de speed dating, la responsable rapporte avoir rencontré une dizaine de jeunes. «Nous le faisons pour le côté social, car le CHUV se veut au service de la population vaudoise. Mais aussi parce que nous avons de la peine à vendre certains métiers. Aujourd’hui un jeune s’est présenté pour l’intendance, alors qu’il n’en avait pas envie au départ. Il avait de bons arguments, avait bien écouté nos présentations et était honnête sur sa démarche. Je mettrai un petit mot sur son dossier», promet-elle.

De même, la représentante de Migros a tenté d’appâter les futurs apprentis sur le secteur boucherie, qui suscite peu d’intérêt chez les jeunes : «C’est un métier avec une grande variété, qui permet beaucoup de contacts avec la clientèle et des activités mêlant préparations et conseils. Une fois que les apprentis y passent, ils veulent y rester», a-t-elle assuré à son auditoire très concentré, avant d’être prise d’assaut par des candidats séduits par la position dominante du géant orange et ses multiples enseignes.

Pascal Foscia, responsable de la formation professionnelle à la Fédération vaudoise des entrepreneurs, a eu quant à lui moins de succès malgré un discours très solide : «On ne travaille plus sur un chantier comme dans les années 60 avec une pelle et une pioche. Il y a aujourd’hui beaucoup de moyens techniques. Les métiers manuels demandent aussi de la réflexion. Monter les échelons peut aller vite avec de la passion et de la volonté !» Mais au moment de mettre sous toit quelques aspirants potentiels, peu d’entre eux se manifestent pour une carrière sur les chantiers.

Même difficulté à susciter l’intérêt du côté d’Hôtellerie suisse, malgré la promotion d’un nouveau métier, celui de spécialiste en communication hôtelière, «une profession pour les touche-à-tout qui aiment les langues», déclare Nicolas Dévaud, responsable de projet marketing & vente Formation. Les horaires irréguliers et les salaires plutôt bas de la branche semblent être un réel problème pour attirer les vocations, et rares sont les jeunes qui se pressent au portillon.

«Les employeurs ne sont pas venus nous vendre du rêve. Ils ont bien ciblé les réalités du monde de l’emploi»

C’est par exemple le cas de Jonathan, qui s’imagine plutôt en gestionnaire du commerce de détail spécialisé en automobile ou en électronique. Il trouve que la séance a été intéressante : «Les employeurs ne sont pas venus nous vendre du rêve. Ils ont bien ciblé les réalités du monde de l’emploi. Je vais préparer une postulation pour Interdiscount avec ma coach, comme me l’a recommandé la représentante de Coop

En 2017, la Journée Entreprises de Connexion-Ressources avait débouché sur un apprentissage chez Login d’employé de commerce spécialisé en tant que chef circulation des trains. «Beaucoup de jeunes ne connaissaient pas ce métier. Ils croient que les CFC ne se font que dans le commerce, la vente ou comme assistant socio-éducatif. Ici ils voient d’autres pistes», souligne une des coach, Paola Salas.

Et surtout, les participants à ces deux séances de job dating à Payerne et Lausanne ont eu une opportunité rare de mettre davantage l’accent sur leur personnalité et leur projet que sur leur parcours scolaire. Et ainsi de faire le premier pas en vue d’un stage, étape indispensable pour consolider leur dossier de candidature auprès de futurs employeurs.

La même semaine encore, à Lausanne, se déroulait la douzième édition de Café Pro, une initiative partie de Neuchâtel en 2017 sous l’impulsion d’un petit groupe de femmes entrepreneuses et qui essaime depuis avec succès en Romandie. Dans ce cas-ci ouvert à tous publics – jeunes et seniors, au chômage ou non –, Café Pro fait également se rencontrer en quelques minutes des demandeurs d’emploi et des entreprises en vue, qui sont même prêtes à payer pour accéder à cet espace de recrutement. Là aussi, beaucoup de sourires échangés et des postulants heureux d’avoir pu montrer autre chose que des lignes manquantes sur un CV. «En moyenne, huit personnes sur environ 200 à 300 participants trouvent un job à l’issue de chaque événement. Les entreprises sont demandeuses», assure Fabiana Falce Hess, ambassadrice de Café Pro à Lausanne.

Et si le trend du job speed dating était l’occasion de remettre au goût du jour un autre anglicisme parfois dévoyé :  la «win-win situation» ?

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