Découvrez le rapport d’activité 2024 d’Insertion Vaud.


Après 2 années de vice-présidence et 23 années de présidence, Stéphane Manco s’apprête à passer le relais à la tête d’Insertion Vaud. Présent au comité depuis 1999, il a accompagné l’association dans toutes les étapes de son développement, avec engagement, diplomatie et un sens profond du collectif. Retour sur ce parcours hors norme.

Delia Guggenbühl et Stéphane Manco
Comment est née l’association et comment a-t-elle évolué ?
L’association a été créée en 1997 – Michel Cornut comptait parmi les fondateurs – sous le nom d’AOMAS Vaud. À l’époque, elle regroupait une dizaine de membres, qui étaient tous des organisateurs de mesures du marché du travail. Le fonctionnement de l’association était entièrement bénévole, et le président faisait tout, vraiment tout. Ce n’est qu’en 2011 qu’unsecrétariat a été créé. Cela a permis de décharger la présidence du travail administratif. Par la suite, Insertion Vaud a pu engager davantage de personnel pour mener différents projets, dont notamment plusieurs projets pilotes, permettant de tester des modèles novateurs d’insertion socio-professionnelle. Aujourd’hui, le fonctionnement de la faîtière est solide, professionnel et bien ancré.
Quels ont été, selon toi, les principaux impacts d’Insertion Vaud sur ses membres ?
Je dirais trois choses. D’abord, la professionnalisation des membres, notamment grâce à la norme IN-Qualis (autrefois AOMAS) et plus généralement aux échanges entre eux. C’est moins flagrant aujourd’hui, mais l’association a contribué à une vraie montée en compétences, en particulier pour les structures qui avaient encore un peu de chemin à faire sur le plan organisationnel. Ensuite, la diversification des prestations et des sources de financement. À la fin des années 90, les mesures d’insertion dépendaient essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, de l’assurance chômage. Ensuite, avec l’AI et l’action sociale, les membres ont pu s’ouvrir à d’autres mandants et donc d’autres publics et financements pour faire face à de nouveaux enjeux. Insertion Vaud a vraiment soutenu cette diversification, qui a été cruciale pour leur pérennité. Et enfin, l’idée de complémentarité entre les membres. On a toujours insisté sur le fait qu’on devait éviter de se concurrencer, mais plutôt se compléter – que ce soit dans les types de prestations ou sur le plan géographique.
Y a-t-il des moments forts que tu gardes en mémoire ?
Oui, certains moments ont été… épiques ! Je pense notamment aux négociations avec le Service de l’emploi de l’époque. Ce n’était pas toujours simple : on devait défendre nos prestations avec fermeté. Il nous est même arrivé de bloquer une convention, en refusant de la signer en l’état. Ce sont des souvenirs marquants, où l’enjeu collectif était très fort. Je me souviens également de notre mobilisation pour introduire le domaine de l’insertion socioprofessionnelle parmi les exceptions de la Loi sur les marchés publics. Il y avait un enjeu et notre action fut déterminante pour convaincre le parlement fédéral.
Que retiens-tu de ces 23 années de présidence ?
J’ai vraiment aimé ces années. J’aime entreprendre pour le collectif et contribuer ainsi à rendre possible des choses auxquelles on croit. Aujourd’hui, mon engagement et ma motivation demeurent, mais je pense que démocratiquement, et en cohérence avec mes valeurs, il était temps de passer la main. J’avais annoncé il y a trois ans que j’entamais mon ultime mandat de président. Cela donnera un nouveau souffle à l’association. Désormais, Insertion Vaud est reconnue par les autorités en charge de politiques d’insertion et par les partenaires sociaux, économiques et académiques. Les liens avec les autorités se sont tissés et consolidés au fil des années. Au sein du comité, les échanges ont toujours été fluides, guidés par un esprit collégial, et ce malgré les nombreux changements. Pour illustrer cela, en 23 ans, nous n’avons jamais eu besoin de voter. Dans un monde où l’individualisme se renforce et se polarise, je trouve essentiel de pouvoir continuer de construire un projet commun en tenant compte des particularités de chacun. C’est le fondement du vivre ensemble.
Quels conseils donnerais-tu à la personne qui te succédera ?
Dans une association comme la nôtre, la présidente ou le président devrait avoir deux préoccupations majeures : fédérer les membres et les représenter. Seul l’intérêt général doit compter. Et considérant que nous comptons plus de 75 organisations membres et que nous ne nous connaissons pas tous bien, il faut trouver des moyens pour que le comité et le secrétariat général restent à l’écoute des attentes et des besoins des membres. Il y aura des enjeux : Confédération et Canton sont à la recherche d’économies, il s’agira d’être un bon négociateur – je crois avoir été meilleur diplomate que négociateur – pour défendre les intérêts des prestations d’insertion, car elles participent à ce que chacun·e trouve sa place dans la société et s’y épanouisse.
Le mot de la fin ?
Je suis profondément reconnaissant pour la confiance qui m’a été accordée toutes ces années par les membres, mais aussi par les différents mandants avec lesquels nous avons été amenés à collaborer. Je remercie tous les collègues qui se sont succédés au sein du comité au fil des mandats et je remercie en particulier Delia Guggenbühl qui dirige le secrétariat général avec compétence et engagement. Je ne claque pas la porte, je laisse juste la place, et Insertion Vaud pourra toujours compter sur mon fidèle soutien.


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Le Mouvement Slow
Créé dans les années 80, le mouvement Slow réémerge depuis quelques années. Il s’agit d’une philosophie de vie qui préconise une décroissance et un ralentissement du rythme de vie toujours plus intense imposé par le capitalisme moderne. Ce ralentissement peut se traduire par différents aspects, tels qu’apprécier les moments simples, prendre le temps de vivre, se reconnecter à la nature, manger de manière saine et équilibrée, etc. et il peut s’appliquer à une multitude de domaines : par exemple, le slow food, le slow tourisme, le slow management ou encore la slow fashion. Outre le ralentissement, cet art de vivre permet d’améliorer sa qualité de vie en redéfinissant ses priorités, en réfléchissant à la valeur et aux sens des choses et en recherchant également dans sa vie ce qui apporte de la joie et du bien-être…
Le Slow Employment
Le Slow Employment, littéralement « emploi lent », se distingue de la vision traditionnelle qui privilégie une insertion professionnelle rapide, parfois au détriment de la stabilité et de l’épanouissement professionnel. Dans un monde en constante accélération, où la productivité et la rentabilité sont souvent prioritaires, le concept de Slow Employment propose une approche radicalement différente de l’insertion professionnelle, en mettant en avant la qualité de l’insertion au lieu de sa rapidité. Celle-ci repose sur le principe d’offrir aux personnes en recherche d’emploi un espace pour réfléchir à leur parcours, à leurs aspirations personnelles et à l’impact de leur travail sur la société et l’environnement. La recherche d’un épanouissement et d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle représentent également des facteurs importants dans la quête d’un nouvel emploi.
Par ailleurs, le Slow Employment encourage une redéfinition du succès professionnel. Au lieu de mesurer la réussite en termes de salaire ou de promotion rapide, cette approche prône une vision plus holistique du travail, où la contribution aux causes sociales et environnementales prend une place centrale. Dans ce contexte, la transition vers des métiers verts ou des rôles dans l’économie sociale et solidaire devient un choix de plus en plus pertinent.
De plus, cette approche contribue à réduire le stress et l’épuisement professionnel, qui sont souvent causés par la précipitation dans un emploi non aligné avec ses valeurs ou ses compétences. En prenant le temps de se former, de se reconvertir ou de trouver un emploi qui correspond vraiment à ses aspirations, les individus peuvent éviter l’insatisfaction à long terme et maximiser leur bien-être global.
Un enjeu pour les entreprises et les politiques publiques
Le Slow Employment impacte non seulement les travailleur·euse·s en quête d’emploi, mais aussi les employeurs et les politiques publiques, qui jouent un rôle essentiel dans la promotion d’un marché du travail plus inclusif et responsable. En intégrant cette philosophie, les entreprises peuvent bâtir un environnement de travail plus humain et durable. Lors des recrutements, par exemple, il est de plus en plus courant que les entreprises ne répondent même plus aux candidat·e·s ayant postulé à une annonce. Adopter une approche plus respectueuse permettrait de renforcer l’attractivité et la fidélisation des talents.
Le Slow Working, concept proche du Slow Employment, encourage également à ralentir le rythme de travail pour produire un travail de meilleure qualité et accroître la satisfaction professionnelle, tout en réduisant le risque de burn-out. En mettant en place des conditions de travail plus flexibles et en valorisant un équilibre entre performance et bien-être, les employeurs peuvent bénéficier d’une équipe plus engagée, motivée et fidèle.
Les défis du Slow Employment
Evidemment, le Slow Employment devrait surmonter plusieurs défis pour être pleinement adopté. L’un des principaux obstacles est le besoin d’un changement de mentalité à grande échelle. Le marché du travail étant largement dominé par des logiques de productivité et d’efficacité immédiate, convaincre les employeurs de l’intérêt d’une approche plus progressive peut s’avérer complexe.
Dans le domaine de l’insertion professionnelle, la mise en place de parcours d’insertion plus longs avec parfois la nécessité de recourir à des réorientations ou des formations complémentaires implique des ressources supplémentaires et un accompagnement adapté. Il reste alors à convaincre les pouvoirs publics que cette approche, bien qu’exigeant davantage de temps et de moyens, constitue un investissement durable pour une insertion plus efficace et pérenne…
L’exemple du projet « Slow ta carrière »
En Suisse romande, l’initiative « Slow ta carrière » incarne cette philosophie. Initié en 2021 par trois psychologues en orientation professionnelle, ce programme propose des conférences et des ateliers d’orientation et de transition professionnelle permettant une réflexion autour du sens et de la durabilité sociale et écologique des choix professionnels et d’orientation.
Interview d’Aline Muller Guidetti, psychologue FSP du travail et de l’orientation professionnelle au sein du Cabinet Muller Guidetti (membre d’Insertion Vaud) et co-fondatrice du programme « Slow ta carrière ».
Comment est née l’idée de Slow ta carrière ?
En 2018, quelques évènements (grandes sécheresses, sortie du livre de Pablo Servigne1, démission de Nicolas Hulot du ministère de la transition écologique et solidaire après quelques mois seulement) ont marqué un tournant pour moi et je me suis rendu compte qu’on allait droit dans le mur sur le plan écologique et social, avec la perte de la biodiversité, la pollution, le dérèglement climatique, etc. Cette problématique n’était pas forcément partagée par les gens avec qui je discutais. Je me suis alors posé la question de pourquoi il y avait cette résistance chez certaines personnes. En tant que psychologue du travail, je me suis aussi questionné sur les choix professionnels et leur impact sur l’environnement en termes de ressources et d’utilisation de l’énergie. C’est à cette période que j’ai rencontré deux consœurs, une du Valais (Sabrina Tacchini) et une de Bienne (Sophie Perdrix). Ensemble, nous avons eu envie de monter un dispositif collectif d’accompagnement aux choix professionnels, afin de faciliter le partage et l’entraide entre participant·e·s, dans un contexte où le marché du travail ne propose pas de solutions à la hauteur des enjeux socioécologiques. L’idée d’un atelier « slow » a alors émergé, en parallèle de mon activité professionnelle au cabinet.
Comment se déroulent les ateliers de « Slow ta carrière » ?
Les ateliers d’orientation se déroulent en groupe. Il y a une formule sur sept sessions ou une formule courte sur une session. Les ateliers permettent une introspection et de se questionner sur « Qu’est-ce que le travail pour moi ? », « Qu’est-ce que je recherche dans le travail, quelle importance je souhaite lui donner dans ma vie ? », « Par quels rôles, activités, puis-je contribuer aux besoins du monde (humains et non-humains) ? ». Souvent les personnes qui s’inscrivent aux ateliers sont dans une période de recherche de sens ou ont été fragilisées par le monde du travail, par exemple à la suite d’un burn-out. Le travail en groupe permet alors de rechercher d’autres alternatives professionnelles ou de réfléchir à l’adaptation de son emploi. On travaille autour des compétences et des aspirations de chacun·e, tout en incluant des réflexions sur les liens au Vivant et ce que l’on souhaite préserver pour un monde soutenable.
Par ailleurs, cet accompagnement permet aussi de sortir de la seule réalisation par le travail. On va alors se questionner sur ce que l’on souhaite pour sa vie professionnelle, mais aussi privée et citoyenne. Comment retrouver de la valeur et du sens, et se réaliser dans d’autres sphères ?
Y a-t-il un profil-type de participant·e·s ?
Les personnes qui s’inscrivent spontanément aux ateliers, sont en général des personnes assez engagées et ayant fait des études. Elles ont souvent une grande sensibilité à ce qu’il se passe, à l’empathie. Il y a peut-être un peu plus de femmes, en tout cas dans le collectif. Concernant l’âge, il y a tous les âges représentés, entre 20 à 55 ans environ.
Pourriez-vous nous donner des exemples de réorientations professionnelles qui ont eu lieu à la suite d’un accompagnement ?
On ne connait pas toujours la suite des parcours, car une fois l’atelier terminé, les personnes ne restent pas forcément en contact avec nous.
Je me souviens de cette personne qui, à la suite de l’atelier, a changé beaucoup de choses au sein de son entreprise. Elle a développé tout un service dédié à la durabilité, ce qui lui a permis d’être à nouveau en phase avec ses valeurs.
Une autre personne a quitté son emploi qualifié, pour lequel elle avait fait de longues études, pour se consacrer à un travail de maraichage. Ce travail, plutôt alimentaire, comporte du sens grâce à la reconnexion à la terre, et lui permet d’avoir plus de temps pour des activités culturelles.
Le Slow Employment est-il, selon vous, compatible avec le régime de l’assurance chômage, l’assurance invalidité ou le revenu d’insertion ? Si oui, comment intégrer ces aspects/réflexions dans les mesures d’insertion ?
La recherche de sens, et la possibilité de prendre le temps pour penser son projet professionnel, n’est pas toujours compatible avec les assurances de type chômage ou invalidité, car ce sont des assurances avant tout économiques, qui visent à récupérer rapidement le gain. La recherche de sens n’est donc pas la priorité ou l’objectif. Et si la nouvelle piste professionnelle vise un travail nettement moins rémunéré, le projet ne sera pas forcément soutenu. Il peut cependant y avoir des ouvertures, si la personne est très fragilisée et ne peut plus retourner dans le domaine initial. Concernant le domaine de l’aide sociale, il semble y avoir un peu plus d’ouverture. Il existe d’ailleurs une offre de mesures dans le domaine de l’écologie et un projet pilote qui accompagne des personnes ayant un projet d’indépendance dans le domaine de l’écologie.
Cependant, il est possible d’intégrer ces réflexions dans certaines mesures, si le cadre légal le permet. Nous avons d’ailleurs une collaboration avec une autre mesure d’insertion, dans laquelle nous dispensons un atelier. Intégrer la recherche de sens dans l’accompagnement se fait certainement déjà dans beaucoup de mesures d’insertion. Il faut être conscient des injonctions de la société dans l’accompagnement et remettre les choses dans une temporalité, tout une gardant en tête le cadre légal et la réalité du marché de l’emploi. On peut aider les personnes accompagnées à se questionner, par exemple : Qu’est-ce que je recherche dans mon travail ? Comment je souhaite m’accomplir (aussi en dehors du travail) ? Combien d’argent ai-je besoin pour vivre ? Qu’est-ce que je peux lâcher ?
Toutefois, cela reste compliqué de se lancer dans un projet d’indépendance, car le cadre légal dans les assurances sociales n’est pas vraiment adapté à l’activité indépendante. En revanche, partir dans un projet d’emploi dans l’économie sociale et solidaire est tout à fait possible ou encore rejoindre un modèle coopératif, comme une coopérative d’habitation.
Le Slow Employment peut-il également être introduit en emploi, au sein même des entreprises ? Quels conseils peut-on donner aux entreprises ?
Oui, on peut changer les choses en entreprise, en étant employé. Il n’y a pas forcément besoin d’être dans la direction pour apporter de nouvelles idées ou de nouveaux processus par exemple. Pour arriver à des vrais changements, il faut cependant être plusieurs, car vouloir changer les choses en étant seul·e est très compliqué.
L’université de Lausanne, par exemple, a utilisé le modèle du Donut de l’économiste Kate Raworth2, afin de guider sa propre transformation. Sa démarche est pionnière, car c’est la première université au monde à la faire. Très succinctement, la théorie du donut est un modèle qui vise à garantir que les impacts des activités proposées restent dans les limites écologiques de la planète, tout en répondant à sa mission sociale. L’Unil a de ce fait réfléchit à tous les domaines de son activité (alimentation, mobilité, informatique, électricité, etc.) et s’est fixé des objectifs pour chacun d’eux, afin d’en réduire les impacts écologiques, tout en garantissant le bien-être social.
Il existe des possibilités de financement pour accompagner les entreprises dans leur transition ou pour financer des projets, par exemple via Viva Vaud3.
A votre avis, quels sont les enjeux et les défis du Slow Employment ?
A mon avis, les enjeux résident essentiellement dans la déconstruction d’une culture et d’un imaginaire. La pression économique dans notre pays constitue un obstacle de taille. C’est un enjeu de société très complexe. Dans notre société, je constate un écart entre deux tendances : la recherche de la productivité, de rendement et la perte de sens d’un autre côté. Beaucoup de gens ne se retrouvent plus dans cette frénésie de la productivité. Les entreprises, les institutions et les politiques devraient être convaincus et proposer d’autres alternatives, afin de retrouver un marché du travail plus humain et plus durable.
Comment le monde du travail devrait-il évoluer ? Quelle est votre vision de l’emploi du futur ?
L’imaginaire dominant autour du travail est très individualiste et très technologique. Les métiers du futur sont censés être très dépendants de l’IA. Mais aura-t-on assez d’énergie pour cela ? Cet imaginaire participe à l’exploitation des ressources. Avec le vieillissement de la population, le travail humain restera important. En revanche, dans ces domaines-là, ce sont les conditions de travail qui se péjorent et se déshumanisent.
Pour moi, les métiers du futur devraient être plus locaux, revenir à des petites structures, à de la production et des échanges locaux. Ils devraient s’inspirer de l’économie sociale et solidaire. Cela passera peut-être par le fait de gagner moins de salaire, en consommant moins et en adaptant ses loisirs. Ce changement de paradigme devrait contribuer à réduire le stress et l’épuisement professionnel et permettre aux individus de retrouver du sens, d’être plus en adéquation avec leurs valeurs et améliorer leur bien-être.
Notes :
Bibliographie :


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Le bénévolat, de quoi parle-t-on exactement ?
Il n’existe pas une définition qui fasse consensus et les nombreuses définitions varient en fonction du contexte. Cependant, quelques éléments semblent caractériser le bénévolat. Il s’agit d’un engagement volontaire, libre et gratuit, visant à contribuer à des causes d’intérêt général. En Suisse, le bénévolat est assez répandu. « La population suisse fait preuve d’un très fort engagement : 39% des Suisses âgés de 15 ans et plus ont une activité formelle au sein d’associations ou d’organisations (…). »1 Grâce à l’engagement volontaire de ces personnes, de nombreuses associations socio-caritatives, politiques, de loisirs ou culturelles peuvent fonctionner.
Le profil des bénévoles
De manière assez stéréotypée, on a tendance à imaginer que la majorité des bénévoles sont des personnes à la retraite, issues de classe moyenne à aisée et qui feraient du bénévolat pour rester actives et avoir des contacts sociaux. Or, la réalité est assez différente. Selon l’Office fédéral de la statistique, le profil des bénévoles en Suisse est le suivant : « En 2020, le travail bénévole organisé est plus souvent l’affaire des hommes, des personnes diplômées du degré tertiaire et de celles habitant en Suisse alémanique. Les différences entre les groupes d’âge sont peu marquées, à l’exception toutefois des plus de 75 ans qui font nettement moins de travail bénévole organisé que les 15 à 74 ans. Le travail bénévole informel est plus souvent l’affaire des femmes, des personnes âgées de 55 à 74 ans, de celles diplômées du degré tertiaire et de celles habitant en Suisse alémanique. » La participation au travail bénévole est la plus forte dans les associations sportives, suivies des associations culturelles, des organisations socio-caritatives, des institutions religieuses, des associations de défense d’intérêts, des services d’utilité publique et enfin des partis ou institutions politiques.3
Les plus-values du bénévolat
Les plus-values du bénévolat sont nombreuses. Participer à des activités bénévoles donne un sentiment d’utilité et de satisfaction personnelle. Le fait de contribuer positivement à la société renforce l’estime de soi et la confiance en ses capacités. Il permet également d’améliorer son bien-être psychique, mais aussi physique. Le développement de son réseau social constitue un autre élément important. Le bénévolat permet de tisser des liens sociaux et de rencontrer des personnes de divers horizons. Finalement, l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences et en particulier l’amélioration des compétences sociales – les soft skills – constitue une plus-value déterminante.
Grâce à tous ces avantages, le bénévolat représente un outil intéressant pour l’insertion, qu’elle soit sociale ou professionnelle.
Le bénévolat comme rétablissement du lien social : l’exemple de MACIT
La mesure d’insertion MACIT de Bénévolat Vaud est un exemple intéressant pour illustrer l’impact du bénévolat dans le processus de rétablissement du lien social. La mesure MACIT (Mission d’action citoyenne), financée par la Direction de l’insertion et des solidarités, propose à une cinquantaine de personnes au bénéfice de l’aide sociale, éloignées du marché du travail, de s’engager dans une mission bénévole de leur choix, pendant une durée de 6 mois, renouvelables. « L’avantage de MACIT, pour une personne désinsérée, c’est d’être en milieu ordinaire, avec d’autres bénévoles et salariés, contrairement aux mesures d’insertion classiques, où l’on se retrouve entre personnes en réinsertion », déclare Anna Perrenoud, conseillère en insertion à Bénévolat Vaud. « Par ailleurs, le bénévolat est choisi volontairement. » ajoute-t-elle. Cet aspect de libre choix de l’activité est très important pour ces personnes qui sont souvent dans le système de l’aide sociale depuis plusieurs années et qui ont, pour certaines d’entre elles, l’impression de ne plus être le pilote de leur vie mais de subir leur réinsertion.
Afin de composer l’offre de bénévolat, Bénévolat Vaud collabore avec un vaste réseau d’associations, fondations et coopératives du canton de Vaud, qui ont à cœur d’accueillir et d’intégrer les bénévoles au sein de leurs équipes. La bienveillance et la reconnaissance du travail effectué de la part de ces institutions permet aux bénévoles de se sentir estimés et utiles à la société.
De plus, l’engagement bénévole permet, pendant quelques heures par semaine, de sortir de chez soi, retrouver un rythme, rencontrer de nouvelles personnes, acquérir de nouvelles compétences et regagner peu à peu confiance en soi. Pour certaines personnes, ces objectifs-là seront suffisants. Pour d’autres, MACIT constituera la première marche vers une réinsertion professionnelle.
Finalement, Anna Perrenoud aborde la question de l’impact sociétal et la recherche de sens : « Par rapport à la réalisation de soi, le bénévolat permet un sentiment d’utilité sociale, car il a un impact sociétal (social, environnemental ou autre). » Cet aspect peut être très important pour des personnes en quête de sens dans leur vie ou dans leur parcours professionnel.
Le bénévolat comme première expérience pour les jeunes
Le bénévolat peut également constituer une première expérience professionnelle précieuse pour les jeunes. En s’engageant dans des activités bénévoles, ils acquièrent des compétences pratiques et développent des qualités personnelles telles que la responsabilité, le travail en équipe et la gestion du temps. Ces expériences permettent également aux jeunes de découvrir différents secteurs professionnels, d’élargir leur réseau social et de gagner en confiance en eux. Il n’est pas rare non plus, que des jeunes accèdent à des responsabilités importantes dans le cadre d’activités bénévoles, ce à quoi ils n’auraient pas forcément accès au cours d’une première expérience professionnelle. De plus, le bénévolat permet d’ajouter ces premières expériences dans le CV et d’attirer ainsi l’attention des employeurs potentiels, qui valorisent souvent l’engagement bénévole et les compétences transférables acquises à travers ces activités.
Le bénévolat comme facteur d’intégration pour les personnes issues de la migration
Le bénévolat joue un rôle crucial dans l’intégration des personnes issues de la migration en facilitant leur insertion sociale et professionnelle. En participant à des activités bénévoles, les nouveaux arrivants peuvent tisser des liens avec la communauté locale, améliorer leur maîtrise de la langue et se familiariser avec les codes culturels de leur pays d’accueil. Ce cadre d’engagement permet aussi de développer des compétences professionnelles et personnelles, renforçant ainsi leur employabilité. Pour ces personnes également, comme pour les jeunes, l’expérience bénévole peut constituer une première expérience en Suisse, qui permettra d’améliorer ses chances de décrocher un premier emploi. Par ailleurs, le bénévolat offre une occasion de surmonter l’isolement et de renforcer le sentiment d’appartenance à la société. En s’engageant bénévolement, les personnes immigrées peuvent démontrer leur valeur et leur contribution positive, favorisant ainsi une intégration harmonieuse et durable dans leur nouvelle communauté.
Le bénévolat comme tremplin vers le premier marché du travail
Finalement, le bénévolat peut constituer un tremplin efficace vers le premier marché du travail, offrant aux personnes une opportunité unique de se préparer et de se positionner pour des emplois rémunérés. En s’engageant dans des activités bénévoles, les personnes en recherche d’emploi peuvent acquérir des compétences pertinentes, obtenir des références précieuses et étoffer leur CV. Il n’est pas rare également que la candidature d’une personne bénévole soit avantagée lors d’une création ou d’une vacance de poste dans l’association au sein de laquelle la personne est engagée et où elle a pu faire ses preuves. De plus, le bénévolat permet de tester différents secteurs et rôles, facilitant ainsi une réorientation professionnelle pour celles et ceux qui cherchent à changer de carrière ou à explorer de nouveaux domaines. Cette expérience pratique, combinée à un réseau élargi et à une meilleure compréhension des attentes du marché du travail, peut considérablement augmenter les chances de réussite dans la recherche d’un emploi. Actuellement, le bénévolat est possible durant une période de chômage si l’engagement ne dépasse pas 20% et qu’il réponde à quelques critères définis par le SECO.4 A noter que le canton de Vaud applique les directives du SECO, mais de manière assez souple, étant donné qu’il ne définit pas de pourcentage maximal pour l’activité bénévole.5
Il n’existe à ce jour que peu de recherches ou études qui démontrent le lien direct entre bénévolat et impact sur l’insertion professionnelle. Dans son article intitulé « Le bénévolat, outil des politiques publiques – Un puissant levier d’insertion professionnelle », Rémi Leturcq (sous la direction de Denis Stokkink) cite une recherche américaine « Volunteering as a Pathway to Employment » qui démontre l’impact d’une expérience bénévole sur l’insertion professionnelle : « Les scientifiques, sur la base de 70’000 trajectoires individuelles observées entre 2002 et 2012, mettent en lumière l’effet bénéfique produit par l’investissement d’un chercheur d’emploi dans une expérience bénévole, qui augmente en moyenne de 27% ses chances de succès. Celui-ci est encore plus puissant pour les chercheurs non-détenteurs d’un baccalauréat et pour ceux vivant en zone rurale, dont les chances augmentent respectivement de 51% et 55%. » Ces chiffres américains ne sont évidemment pas transposables à la Suisse, mais ils restent tout de même intéressants.
Un outil complémentaire aux mesures d’insertion
Comme nous l’avons mentionné, le bénévolat représente un outil très intéressant tant pour l’insertion sociale que professionnelle. Il permet de renforcer l’estime de soi, de développer des compétences variées, d’élargir son réseau, d’améliorer son bien-être global et d’explorer de nouveaux secteurs d’activité. De plus, en tant que levier complémentaire aux mesures d’insertion socio-professionnelles existantes, il offre des opportunités concrètes d’intégration et de réinsertion pour divers publics, notamment les jeunes, les personnes éloignées du marché du travail et les personnes issues de la migration. Le bénévolat, en valorisant l’engagement citoyen et en créant du lien social, contribue à une société plus inclusive et solidaire et permet aux personnes qui s’engagent de s’épanouir et de s’intégrer à la société.
Références
Bibliographie et liens
Intéressé·e par une activité bénévole ?
Voici quelques liens vers des associations membres d’Insertion Vaud, qui recherchent des bénévoles dans le canton de Vaud :


Image d’illustration Istock Dan Rentea
Depuis deux ans maintenant, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a éclaté, engendrant un flux migratoire important en provenance d’Ukraine vers d’autres pays. En Suisse, selon les derniers chiffres de la Confédération, près de 65’000 personnes ayant fui l’Ukraine ont été accueillies, bénéficiant du statut de protection S. Dans le canton de Vaud, on dénombre environ 6’000 Ukrainiennes et Ukrainiens, en majorité des femmes.
L’accès au marché du travail suisse représente un défi majeur pour ces réfugié·e·s, principalement en raison du statut provisoire qu’elles·ils possèdent (difficulté de projection), de la barrière linguistique et de la complexité à faire reconnaître leurs diplômes. Cependant, les ressortissant·e·s ukrainien·ne·s possèdent un niveau de formation comparable ou meilleur que le reste de la population issue de la migration. Selon les statistiques du SEM, 39% des titulaires du permis S exerçaient en Ukraine des professions intellectuelles ou scientifiques, 17% des professions intermédiaires et 17% des métiers dans le commerce, la ventes et le service aux particuliers.1
En Suisse, la majorité des réfugié·e·s ukrainien·ne·s ayant trouvé un emploi, travaillent dans des secteurs tels que l’hôtellerie-restauration (22%), actuellement confrontée à une pénurie de personnel, ainsi que dans les domaines de la planification, du conseil et de l’informatique (19%)2. Sur l’ensemble de la Susse toutefois, seul·e·s 22% des réfugié·e·s ukrainien·ne·s ont trouvé un emploi et ce chiffre se situe actuellement à 12% dans le canton de Vaud. Face à cette réalité, la Conseillère fédérale Karin Keller Sutter, ministre des Finances, a annoncé, en novembre passé, son intention d’augmenter le taux d’emploi des réfugié·e·s ukrainien·ne·s à 40% d’ici la fin de l’année, exerçant ainsi une pression supplémentaire sur les cantons.3
Dans le canton de Vaud, c’est principalement l’Etablissement Vaudois d’Accueil des Migrants (EVAM) qui est chargé de l’assistance financière, ainsi que de l’insertion socio-professionnelle des réfugié·e·s ukrainien·ne·s. Cette mission est menée en étroite collaboration avec divers partenaires, tant étatiques qu’associatifs. À cet égard, un éventail de mesures est mis à la disposition de ces personnes, incluant des cours de français intensifs et semi-intensifs, l’accès à des services de l’Office régional de placement (ORP), des bilans d’orientation et différents types de soutien (reconnaissance de diplôme, accompagnement à l’indépendance, etc..) ainsi que des initiatives de mentorat et de coaching personnalisé. Dans les prochains mois, il est prévu d’étoffer l’offre avec des mesures de placement.
En parallèle, le canton de Vaud a également mis en place des projets pilotes de formation courte dans des métiers menacés par la pénurie de personnel. Un premier projet a été lancé en septembre 2023 dans le secteur de la restauration, en collaboration avec GastroVaud, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) et l’EVAM, afin de former rapidement des aides de cuisine et des agent·e·s d’entretien polyvalent·e·s. D’autres projets similaires sont prévus prochainement dans les secteurs de la construction, de la santé et du photovoltaïque.4
À la suite de l’injonction de la Confédération d’augmenter le taux d’emploi de ce public, en plus des initiatives mentionnées, le canton de Vaud, via l’EVAM, a décidé de rencontrer l’ensemble des personnes actuellement sans emploi, à savoir environ 2’000 personnes ukrainiennes. Un bilan personnel est effectué par le personnel de l’EVAM pour chaque personne, afin de définir la meilleure stratégie d’insertion professionnelle à mettre en œuvre en fonction de son parcours, ses aspirations et ses compétences.
L’atteinte de l’objectif ambitieux de la Confédération reste un défi de taille pour le canton de Vaud. Les initiatives en cours témoignent pourtant d’un engagement continu à trouver des solutions efficaces pour favoriser l’insertion sociale et professionnelle des réfugié·e·s ukrainien·ne·s. Il est important de reconnaître que la réussite de ces initiatives dépend également de la volonté des employeurs et de la dynamique du tissu économique local à favoriser l’embauche de cette population.
L’exemple d’Horizon, une mesure du dispositif de l’EVAM pour les ressortissant·e·s ukrainien·ne·s
Interview d’Adile Gachoud, responsable de la mesure Horizon pour l’OSEO Vaud
Prévue sur une durée de 6 mois, la mesure Horizon est proposée par l’OSEO Vaud, la Fondation Mode d’emploi et la coopérative Démarche, depuis fin 2022. Ce programme offre un accompagnement individuel aux personnes ayant fui l’Ukraine, comprenant des cours intensifs de français et un coaching hebdomadaire visant à favoriser l’insertion professionnelle par le biais d’un bilan de compétences, de la définition d’un projet professionnel et de cours sur la culture et le marché de l’emploi suisses. Les stages, permettant d’augmenter l’employabilité, complètent les outils d’insertion à disposition. 30 personnes sont suivies simultanément par chacun des trois organisateurs de la mesure.
Quels sont les profils des personnes que vous recevez dans la mesure Horizon ?
Environ 86% des participant·e·s de la mesure sont des femmes. Elles ont majoritairement des profils qualifiés. Mais ce terme est cependant à prendre avec des pincettes. En effet, en Ukraine, quasiment tout le monde passe par la voie universitaire. La voie de l’apprentissage, typique du système suisse, n’existe pas en Ukraine. Le niveau universitaire n’est donc pas tout à fait le même que celui en Suisse. Souvent les Ukrainien·ne·s sont formé·e·s dans plusieurs domaines, mais rares sont celles·ceux qui ont ensuite travaillé dans leurs domaines de formation. 83% des participant·e·s de la mesure ont au moins une formation universitaire.
Est-ce que les participant·e·s trouvent facilement du travail en Suisse ?
A fin novembre 2023, la mesure Horizon (sur les trois sites) avait un taux d’emploi de 33% en tenant compte des interruptions et 63% sans les interruptions. Ces taux d’emploi sont réjouissants. La difficulté réside toutefois dans la faible transférabilité des compétences. En effet, pour de nombreux métiers, les attentes en Suisse sont beaucoup plus élevées qu’en Ukraine. Par exemple, une employée de banque n’utilisait pas d’ordinateur pour son travail. Même si les profils sont en général qualifiés, les compétences ne répondent souvent pas aux standards suisses. Pour certains secteurs cependant, les exigences correspondent, mais il s’agit d’une minorité de postes.
Dans quels secteurs trouvent-ils·elles du travail ?
Nous avons listé les principaux métiers dans lesquels nos participantes et participants ont décroché un emploi, il s’agit des métiers suivants : aide de cuisine, agent d’entretien, aide-comptable, réceptionniste, apprenti électricien, vendeur, auxiliaire de l’enfance, assistant en pharmacie, instructeur de fitness, etc.
Les personnes que nous suivons dans le cadre d’Horizon doivent cependant, pour la plupart d’entre elles, rechercher des postes en dessous de leurs qualifications, voire sans rapport avec leurs qualifications, en raison notamment de la langue qu’elles ne maitrisent pas encore parfaitement. Il y a souvent un deuil du projet professionnel initial à faire, ce qui n’est pas évident. Certaines sont capables de le faire et trouvent des postes dans la restauration par exemple ou dans le nettoyage. Les personnes qui sont arrivées plus tard, ont déjà été informées par leurs compatriotes que la recherche d’un travail similaire à ce qu’elles faisaient avant sera compliqué, la déception est donc un peu moins grande.
Quelles sont les opportunités et les défis liés à l’insertion professionnelle de ce public ?
Les personnes ayant fui l’Ukraine sont généralement très rigoureuses, proactives et en quête de l’excellence. La réussite est très ancrée dans leur culture. Ces éléments sont un plus pour les démarches d’insertion professionnelle. Comme déjà évoqué tout-à-l ’heure, leur niveau d’études est également un avantage par rapport à des réfugié·e·s d’autres pays où les études sont moins facilement accessibles. Nous constatons également une grande solidarité entre les personnes, par exemple pour se transmettre des informations utiles sur le fonctionnement de la Suisse via des groupes sur Telegram ou Facebook ou pour garder les enfants des autres.
Concernant les défis, l’apprentissage du français reste le défi le plus important. Et comme déjà mentionné, la faible transférabilité des compétences constitue un obstacle également. Par ailleurs, nous avons été confrontés à des problèmes d’autorisations de travail, qui n’ont pas été validées, en raison de conditions de rémunération non conformes aux barèmes de la branche. Dernièrement, cinq contrats n’ont ainsi pas pu aboutir.
Les employeurs jouent-ils le jeu ?
Oui, dans l’ensemble, les employeurs jouent le jeu. Des contrats à durée indéterminée (CDI) sont même proposés à ce public, malgré cette incertitude de la durée du séjour en Suisse. Les employeurs ne semblent pas fermés à l’idée d’engager des personnes ukrainiennes. De plus, si certains critères sont remplis, une participation au salaire peut être proposée aux employeurs par l’EVAM durant les six premiers mois d’engagement.
Quelles sont leurs perspectives à long terme ?
Une majorité de nos participant·e·s sont des femmes célibataires ou divorcées avec enfants à charge. Bien que certaines nourrissent l’espoir de retourner rapidement en Ukraine, la plupart expriment le désir de demeurer en Suisse, même après la fin du conflit. Dans cette optique, leur insertion sociale et professionnelle revêt, pour elles, une importance capitale.
Références

La question de l’assurance-accidents des personnes en insertion est un casse-tête depuis de nombreuses années. Qui est assuré automatiquement, qui ne l’est pas ? Qui est responsable dans le cas d’un stage, dans le cas d’une mesure d’insertion, dans le cas d’une mesure d’insertion à vocation de production? Insertion Vaud a rédigé un aide-mémoire pour aider ses membres à y voir plus clair. Il donne des informations en fonction de la situation de la personne (chômage, AI et aide sociale), ainsi qu’en cas de stage en entreprise. Le document a été validé par la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM), par l’Office AI Vaud et par le Direction de l’insertion et des solidarités (DIRIS).


Le succès des mesures d’insertion socioprofessionnelle ne se résume pas toujours à l’obtention d’un travail ou le commencement d’une formation professionnalisante. Faudrait-il plus valoriser les autres acquis?
Lorsque le taux de chômage est bas comme actuellement, les profils des participant·e·s aux mesures d’insertion socioprofessionnelle peuvent être de plus en plus éloignés du marché du travail. Conséquence : des difficultés accrues pour placer ces personnes, que ce soit en emploi ou pour une reprise de formation. Or, c’est bien là que se mesure généralement le succès des programmes.
Mais n’y a-t-il pas d’autres succès? “Pour nous, le plus grand succès, c’est ce que l’on nomme la reconnexion à soi, estime pour sa part Ariane Brokatzky, codirectrice de Swissnova. Cela a vraiment un impact plus large que le fait de trouver un emploi. Cela rayonne aussi sur la vie sociale des participant.e.s. Certains vont par exemple se remettre autrement en action, à faire de la musique ou du sport, alors qu’ils avaient oublié de nourrir cette partie importante de leur équilibre au passage à la vie adulte par exemple. Finalement, le fait de retrouver du travail est une conséquence d’une démarche plus profonde et dès lors, durable.”
Ilaria Eddih-Meschiari accompagne des personnes de plus de 50 ans motivées à réintégrer le marché de l’emploi, au sein de la mesure InPlus d’Insertion Vaud. Pour elle, les réussites “cachées” sont multiples. “Cela peut être une réorientation professionnelle, le développement de compétences sociales, le gain en autonomie ou encore l’identification d’une problématique de santé. Et puis une mesure peut aussi parfois améliorer la santé psychique ou le bien-être général d’un·e participant·e.”
Et parfois, le succès c’est aussi le renoncement, comme “lorsqu’un·e participant·e abandonne en pleine conscience un projet parce qu’il ou elle comprend qu’il n’est pas pour lui/elle”, relate Marie-Claude Cialente, Cheffe du secteur Insertion chez Caritas Vaud.
Changement de paradigme
On le voit, la liste des réussites qui dépassent le fait de trouver un emploi ou une formation est longue. Mais pour la responsable de Caritas Vaud, le système actuel d’insertion peine à prendre en compte ce qui n’est pas toujours chiffrable. “Je suis convaincue que ce qui est à valoriser, c’est le chemin et non le résultat, mais que ceci demande un changement radical du paradigme des mesures d’insertion, déclare-t-elle. Si une personne est suffisamment autonome pour marcher seule, elle atteindra tôt ou tard sa destination.” Pour Marie-Claude Cialente, “changer ce paradigme amènerait peut-être les travailleurs sociaux à plus se centrer sur le travail avec le ou la participant·e et moins sur les résultats, à être plus honnête dans le réseau et à ne pas travailler que pour les financements.”
Au final, mieux identifier et mesurer les “succès cachés” serait bénéfique pour les participant·e·s, mais aussi pour les professionnel.le.s de l’insertion. “Avec un chômage bas, les profils que l’on reçoit sont de plus en plus éloignés du marché du travail, note Ariane Brokatzky. Cela peut créer plus de difficultés chez les conseiller·ère·s dans la démarche du retour à l’emploi et une frustration si cet objectif ne peut être atteint. Peut-être qu’il serait judicieux de prendre davantage en compte les “succès cachés” dans l’accompagnement de ces personnes, et mesurer l’aspect bien-être de l’individu (aspects psychologiques du coaching) et prendre en compte le fait qu’il faudra plus de temps avec ces profils afin d’arriver à des résultats.”
Dans un monde qui pousse aux objectifs chiffrés, une meilleure prise en compte des réussites moins tangibles est une source potentielle de motivation. “Parfois, de notre côté aussi, on peut être découragé par certaines situations complexes et qui n’aboutissent pas à des emplois, conclut Ilaria Eddih-Meschiari. Réaliser qu’il y a également d’autres sources de succès, c’est gratifiant.”


Lors d’un processus de recrutement, le curriculum vitae est encore largement utilisé, notamment pour présélectionner les candidat·e·s avant les entretiens. Des initiatives tentent de le faire disparaître, notamment pour gommer les a priori négatifs, ou alors de le transformer.
Ce début d’année, l’assureur Concordia s’est mis à la recherche de conseiller·ère·s en assurance. Dans un contexte où il est de plus en plus difficile de trouver du personnel qualifié sur le marché du travail, l’employeur s’est alors lancé dans un recrutement différent, sans connaître les CV des candidat·e·s. “Pour ce poste, la personnalité et les soft skills sont très importants, relate Laetitia Dupré, spécialiste recrutement. Et chez Concordia, nous essayons d’embaucher une personne et pas un CV. Nous essayons de voir au-delà. Toutefois, lorsque nous recevons une centaine de candidatures, il est difficile d’appliquer cela. Donc si certains CV ne sont pas bien faits, s’il manque des éléments, ou encore si la mise en page n’est pas attrayante, il est possible que des candidats ne soient pas contactés.”
Concordia a donc fait appel à une agence de placement qui a effectué une présélection sur la base de deux ou trois critères transmis par l’assureur. “Nous avons ensuite rencontré les candidat·e·s sous forme de speed recruiting, environ 8 à 10 minutes d’entretien sans avoir de CV sous les yeux. Cela nous a permis de voir des profils que les RH auraient pu refuser sur la base de ces documents.”
Moins de CV, plus d’égalité
Ce type de démarche innovante ne surprend pas Stéphane Gigon. Il est le directeur d’Humanys Solutions, une société spécialisée dans le coaching et l’accompagnement de personnes en transition de carrière. “On sent clairement une évolution dans le marché du travail, avec la grande démission aux Etats-Unis, le fait que 500’000 personnes partiront en retraite en Suisse en 2030, ou encore le fait que le marché a enregistré le plus gros taux d’absentéisme au premier trimestre de cette année, note-t-il. Il y a énormément de burn-out liés à un stress chronique, à de l’épuisement, mais aussi de plus en plus une quête de sens. Dans ce contexte, les employeurs doivent réagir.”
Recruter sans CV serait donc aussi une manière de donner une image positive de la personne qui recrute. “C’est gagnant-gagnant pour l’entreprise et le candidat”, ajoute Laetitia Dupré, parce que l’entreprise peut aussi montrer d’elle une image moderne, progressiste, ce qui permet d’attirer aussi les bons profils.” De son côté, le ou la candidat·e qui a un CV compliqué, par exemple avec de longues périodes d’inactivité, peut profiter de tels processus. “Je pense que le discours est plus authentique et plus transparent, déclare la responsable RH. Il y a finalement moins cette tentation de nous cacher des informations par peur que cela déplaise. Cela va permettre aux personnes qui ont des CV moins attractifs d’être à égalité avec les autres. Après, il faudra qu’elles puissent expliquer, justifier les éventuels “trous” ou les changements, afin de convaincre les RH. »
Quoi qu’il en soit, les CV restent des documents largement utilisés, car un recrutement comme celui de Concordia, avec l’appui d’un cabinet externe pour présélectionner des candidat·e·s, a un coût important. “Les PME n’ont pas les mêmes moyens que de grosses structures, précise Stéphane De Craecker, coach Employabilité chez InnoPark. Et, lorsqu’elles effectuent elles-mêmes le recrutement, elles travaillent encore souvent à l’ancienne, avec une réception des CV, une impression, un premier tri manuel, etc. De plus, les responsables du recrutement ont généralement peu de temps pour sélectionner les dossiers.”
Faire preuve de créativité
Les candidat·e·s aux CV compliqués doivent alors trouver d’autres moyens pour passer le 1er tour du recrutement. “Chez Humanys, nous conseillons d’avoir deux types de CV, un dynamique, pour des démarches proactives auprès de recruteurs ou de contacts, et un autre plus classique à déposer sur des plateformes. Pour ce dernier, nous conseillons d’être le plus simple possible, d’enlever toutes les fioritures. Car les CV sont de plus en plus lus et triés dans un premier temps par des algorithmes.”
Autre tendance : un CV sous forme vidéo. Avec l’essor des réseaux sociaux, voir des gens parler d’eux-mêmes face à une caméra est devenu habituel. Mais cela n’est pas forcément facile pour tout le monde. Humanys a trouvé la parade. “Il est très difficile de parler face à une caméra, souvent le résultat n’est pas satisfaisant, il faut faire beaucoup de prises, et la personne n’est pas toujours à l’aise, relate le responsable. Nous avons donc choisi une autre voie. Nous demandons aux candidat·e·s un « elevator pitch » (ndlr: un argumentaire éclair). Elles ou ils peuvent ensuite choisir deux types de vidéos : en 3D avec un avatar, ou en mode cinéma avec des images en lien avec son univers. La vidéo peut ensuite être ajoutée au CV, ou diffusée directement sur les réseaux sociaux. Les employeurs en sont friands. Cela donne une image d’un·e candidat·e en phase avec son époque, capable d’utiliser les nouvelles technologies ou les nouveaux codes visuels.”
L’audace lors d’une recherche d’emploi, reste à double tranchant, selon Stéphane De Craecker: “On peut imaginer toute sorte d’originalité. Une personne avait fait afficher son visage sur les bus en France et elle a eu beaucoup de succès. Mais je le dis à mes participant·e·s: l’originalité, c’est un risque, soit les gens vont apprécier cette approche nouvelle, soit c’est un rejet. Donc il faut mesurer cela.”
Tout un processus de recrutement en mutation
Si les candidat·e·s n’adoptent pas de nouvelles manières de se présenter, il est fort probable que ce soient les entreprises qui prennent les devants en innovant lors du recrutement. “Les nouveautés les plus déstabilisantes à l’heure actuelle sont les interviews en ligne par des ordinateurs, par des intelligences artificielles, décrit le coach d’InnoPark. On vous diffuse un texte ou une séquence vidéo et vous avez deux minutes pour répondre. De plus, il y a dorénavant des outils qui analysent visuellement la manière dont la réponse a été donnée au niveau du non verbal, et qui définit un coefficient de cohérence entre la réponse et l’attitude des candidat·e·s.”
C’est peut-être finalement le paradoxe du développement des processus de recrutement à l’heure actuelle : alors que des soft skills, des compétences plus sociales et émotionnelles, sont recherchées chez les candidat·e·s, en gommant les documents écrits et en favorisant l’entretien en présentiel, les recruteurs sont de leur côté de plus en plus remplacés par des robots. On en viendrait presque à regretter le bon vieux CV.


Céline Lafourcade, chargée de projet à l’EPER
Et si le Canton de Vaud intégrait un Revenu de Transition Ecologique ? Une étude menée par l’EPER se penche sur la faisabilité d’un tel mécanisme qui pourrait concerner directement des bénéficiaires de mesures d’insertion. Interview de Céline Lafourcade, en charge du projet.
Qu’est ce que le RTE, le Revenu de Transition Ecologique ?
Le RTE est un concept qui a été développé par Sophie Swaton, philosophe et économiste à l’Université de Lausanne. Il découle de ses recherches sur le revenu brut inconditionnel, tout en se démarquant de celui-ci. Ici, le revenu est justement conditionné, en l’occurrence au fait d’avoir une activité en lien avec la transition écologique. En résumé : pour réaliser cette transition écologique, il y a besoin de réaliser un certain nombre d’activités. Et pour cela, il faut créer des emplois.
Et pourquoi cette étude ?
Le RTE est déjà expérimenté dans plusieurs endroits, notamment en France. Quelques initiatives ont vu le jour en Suisse, dans les cantons de Genève et du Jura. Dans le canton de Vaud, la Direction générale de la cohésion sociale a lancé son projet de mesures à vocation écologique avec le soutien de la Fondation Zoein. En parallèle, il y a eu des discussions pour réaliser une étude sur ce RTE, pour évaluer comment il pourrait être expérimenté dans le Canton de Vaud. Par ailleurs, la députée verte Rebecca Joly a déposé une postulat demandant justement d’étudier la faisabilité d’un RTE. Ces deux éléments sont donc à l’origine de cette étude de faisabilité pour le développement d’un projet pilote de RTE dans le canton de Vaud.
À qui s’adresse le RTE ?
Selon le concept proposé par Sophie Swaton, le RTE est un dispositif de soutien à des porteuses et porteurs de projet et à des personnes en situation de vulnérabilité, qui s’engagent dans une activité répondant aux urgences écologiques et sociales.
Pour ce projet pilote de RTE dans le canton de Vaud, la proposition qui devra être validée est de cibler dans un premier temps deux publics. D’une part les personnes qui sont aujourd’hui bénéficiaires du revenu d’insertion (RI), et d’autre part, les porteurs de projets. En effet, on a vu qu’il fallait aussi encourager les entrepreneur·e·s engagé·e·s dans des activités de transition écologique afin de créer de nouvelles activités. Il faut soutenir aussi ces profils, cela permettra également de créer les emplois de demain.
Et donc des bénéficiaires du RI pourraient ainsi travailler et sortir de l’aide sociale ?
Effectivement, des personnes en insertion pourraient travailler auprès d’employeurs existants engagés ou souhaitant s’engager dans des activités de transition écologique. Mais l’objectif est aussi de favoriser les synergies pour créer des micro-entreprises, avec une mixité entre des personnes en insertion ou non. Ceci permettrait également une déstigmatisation de profils différents et une meilleure cohésion sociale.
Qu’y a-t-il derrière l’idée de coopératives de transition écologique ?
Il y a une volonté de créer une structure démocratique avec des principes de gouvernance partagée pour mettre en place ces RTE. Ces structures sont nommées des coopératives de transition écologique (CTE) et ont déjà été crées en France. Il faudra étudier quel statut serait le plus adapté en Suisse et dans le canton de Vaud, entre une association ou une coopérative. Le RTE, ce n’est pas seulement un revenu, c’est aussi un accompagnement de la personne et la volonté de mutualiser le matériel et les espaces, de créer des synergies entre les personnes ou des collaborations, et donc de créer toute une communauté d’acteurs de la transition écologique.
Quels peuvent être les impacts sur les membres d’Insertion Vaud si ce RTE est mis en place ?
Les organismes d’insertion consultés durant l’étude sont ceux qui sont déjà impliqués dans des mesures à vocation écologique. Et il semble que l’ensemble de ceux-ci sont intéressés à participer au projet pilote. Donc oui, il y a un impact sur les acteurs d’Insertion Vaud, mais aussi sur leurs bénéficiaires et leur trajectoire d’insertion.
De quelle manière ?
L’idée est de favoriser une insertion vers les métiers de la transition écologique pour à la fois répondre aux besoins de la transition mais aussi permettre aux personnes qui ont été éloignées du marché du travail de retrouver une activité porteuse de sens. Par ailleurs, ce volet pour le développement d’entreprenariat par les bénéficiaires est vraiment novateur. Aujourd’hui, une personne au RI ne peut pas développer un projet d’entreprenariat. Dans notre proposition de dispositif RTE pilote, on espère pouvoir rendre cela possible dans certaines situations. Cela nécessitera un accompagnement adéquat.
L’objectif est donc aussi de créer des métiers qui n’existent pas encore ?
En quelque sorte. Pour l’instant c’est assez difficile d’avoir un parcours cohérent pour les bénéficiaires de mesures à vocation écologique, parce qu’il n’y a pas toujours d’emplois correspondants. L’étude se penche aussi sur les raisons de ce manque. Il y a notamment un souci de rentabilité des entreprises dans ce domaine parce que le cadre réglementaire ne favorise pas aujourd’hui les activités qui prennent en compte les limites planétaires. Le secteur de l’économie circulaire, comme la réutilisation d’objets, est particulièrement concerné.
Est-ce qu’il y a quand même des secteurs où l’on pourrait aujourd’hui insérer via le RTE ?
Il y a notamment le domaine de la transition énergétique, avec la rénovation thermique de bâtiments ou l’installation de panneaux photovoltaïques. On observe que le besoin de main-d’œuvre dans des entreprises existantes est déjà là.
Quelles sont les prochaines étapes pour ce RTE ?
L’étude est en train d’être finalisée. Une fois terminée, une validation politique sera nécessaire, mais la temporalité n’est pas encore exactement définie. Il faut préciser qu’il s’agit d’un projet pilote, avec quelques personnes qui pourraient bénéficier de ce RTE. Il y aurait ensuite une évaluation de ce projet, et en fonction des résultats, le RTE pourrait être mis en place de manière plus large.
Si le projet pilote est concluant, il faudra encore convaincre la population qui financera au final ce revenu via l’impôt ?
Les personnes à l’aide sociale qui pourraient bénéficier du RTE sont des personnes qui bénéficient déjà, aujourd’hui, d’un revenu d’insertion. Avec le RTE, l’idée est de déplacer les coûts vers une mesure potentiellement plus efficace. Par contre, il faudra effectivement trouver les moyens de financer la partie du RTE dédiée au soutien à l’entreprenariat pour les personnes qui ne relèvent pas de l’aide sociale.