Catégorie : Reportage

  • Quand l’insertion commence dans la rue

    Quand l’insertion commence dans la rue

    Insertion rue

    Image d’illustration Marcino, Pixabay

    Dans l’insertion socioprofessionnelle, les participant·e·s aux mesures d’insertion sont généralement inscrit·e·s, voire assigné·e·s, par un ORP ou un CSR. Elles et ils se rendent donc (avec plus ou moins de motivation), sur le lieu de la mesure. Mais qu’en est-il des cas de figure où il est nécessaire d’aller chercher la personne là où elle se trouve, parfois dans la rue ? Focus sur le travail social hors murs. 

    Toutes les ruelles, passages et recoins de Vevey sont connus par l’équipe des travailleurs et travailleuses sociales de proximité de Ginkgo, une structure de la ville de Vevey et membre d’Insertion Vaud. Active dans l’insertion socioprofessionnelle depuis plus de 20 ans, Ginkgo a plusieurs cordes à son arc pour soutenir les jeunes de 12 à 25 ans de la région : des activités communautaires (repas, activités sportives et socioculturelles), une permanence sociale, des mesures d’insertion socioprofessionnelle et de prévention, ainsi que le travail social hors murs. C’est ce dernier volet en particulier qui nous intéresse aujourd’hui : le TSHM, pour travail social hors murs. En effet, c’est un outil moins connu ou moins utilisé dans le domaine de l’insertion. Généralement, les mesures d’insertion socioprofessionnelle accueillent des participant·e·s dans leurs locaux ou organisent des activités à l’extérieur. Mais peu d’organismes prestataires vont à la rencontre des jeunes dans la rue, en allant là où elles·ils se trouvent.

    Entretien à Vevey, dans les locaux de Ginkgo, avec Marco Pavarini, responsable de la structure depuis 2008 et l’équipe des travailleurs et travailleuses sociales de proximité (Aurélie, Nicolas et Cédric).

    Les trois travailleurs et travailleuses sociales de proximité se partagent 10 heures de TSHM par semaine. Ces sorties dans le centre-ville, à pied uniquement, permettent de prendre la température de la ville, d’aller à la rencontre des jeunes, souvent en groupes, mais aussi seul·e·s parfois. Cela ouvre ainsi un espace de transition entre la rue et l’école, la rue et l’insertion sociale, la rue et l’insertion professionnelle. Le rôle du TSHM est de faire de la prévention, de la médiation, de l’intervention si besoin, mais pas de se substituer à la police. « On est un peu comme des super citoyens » explique Nicolas. « Mais on ne fait rien d’extraordinaire, on déambule dans la rue, on sent ce qui se passe, on intervient si besoin, comme le ferait normalement tout bon citoyen. » Ginkgo a développé une très bonne collaboration avec l’école, d’autres acteurs du réseau, mais aussi avec la police veveysane, qui les appelle parfois pour des situations où le travail social peut jouer un rôle avant que la police n’ait besoin d’intervenir. En revanche, si cela dégénère, c’est la police qui intervient, pas eux. Ils ne sont pas là non plus pour agir sur tous les problèmes qu’il peut y avoir dans la ville, par exemple le deal de rue ou les tags.

    Il n’y a pas de recette miracle

    Concernant leur manière de travailler, « il n’y a pas de recette miracle, il y a plusieurs styles et on fait beaucoup en fonction du feeling du moment. Parfois, on va plus au contact, parfois on est plus en retrait, plus en observation. Il y a plusieurs manières de faire qui dépendent aussi du contexte, par exemple s’il fait jour ou nuit », relate Cédric. Le contact avec les jeunes est adapté au cas par cas et le feeling a son importance également. « Parfois, on se plante aussi » ajoute Nicolas. A Ginkgo, l’approche est généralement plutôt discrète, quelques fois un simple bonjour ou un signe de tête suffit.

    La force de Ginkgo

    La force de leur dispositif, c’est le volet insertion qui complète le travail social hors murs, car « de nombreuses personnes sont perdues pour l’insertion professionnelle, elles n’ont pas les codes », estime Nicolas. Aborder les jeunes marginalisé·e·s dans la rue et leur proposer d’emblée la participation à une mesure d’insertion est trop brutal. Il faut y aller en douceur. La technique des TSHM consiste d’abord à se faire connaître, établir un dialogue, montrer qu’elles·ils sont là en cas de besoin et informer les jeunes qu’elles·ils peuvent passer à Ginkgo. La confiance prend parfois du temps, c’est un travail de longue haleine. Un argument qui marche bien, « le produit d’appel », comme dit l’équipe, consiste à proposer uniquement une aide pour un CV et une lettre de motivation. Ce n’est pas stigmatisant, car tout le monde peut avoir besoin d’un coup de pouce pour un dossier de postulation. Si la ou le jeune vient jusque dans les locaux, les travailleurs et travailleuses sociales peuvent ensuite proposer, en fonction des besoins, un accompagnement plus complet pour la recherche d’un stage, d’un apprentissage ou d’un emploi ou une aide pour d’autres problématiques. Le sur-mesure permet de s’adapter à chaque situation. Les suivis des jeunes sont variables, certaines personnes viennent juste une fois ou deux, alors que d’autres suivis s’étendent sur une dizaine d’années, de l’école jusqu’à l’entrée dans une vie d’adulte stabilisée. Des fratries entières défilent à Ginkgo. Le bouche-à-oreille marche très bien dans la petite ville de Vevey, la plupart des jeunes connaissent Ginkgo. Savoir que l’on peut passer à la permanence sociale pour demander une aide ou un conseil est rassurant.

    Le profil des jeunes

    L’équipe constate une grande disparité des profils des jeunes qu’elle côtoie dans la rue. Tout le spectre est représenté : des jeunes inséré·e·s qui se retrouvent simplement après le travail, mais qui dérangent le quartier, jusqu’aux jeunes qui cumulent de multiples problématiques (problèmes de comportement, d’addictions, familiaux, etc.). Il y a aussi les jeunes qui arrivent d’un autre pays et qui ont besoin avant tout de socialisation. Un constat partagé est celui de l’augmentation de la solitude et de la dépression. Nicolas émet l’hypothèse que l’origine se trouve en grande partie dans le smartphone et les réseaux sociaux. En effet, avec l’arrivée de ces technologies, les jeunes discutent moins ensemble, se retrouvent moins entre potes et restent plus souvent isolé·e·s chez eux. Les réseaux sociaux ont tendance à faire penser que la vie des autres est bien plus intéressante et plus fun. Pour contrer cette tendance à l’isolement, Marco Pavarini explique que l’équipe a mis dernièrement en place des animations de groupe pour les jeunes, comme une après-midi sportive, un atelier philosophie ou une matinée de travail sur des projets. « Ça prend bien » ajoute Marco. Le groupe permet de prendre conscience qu’on n’est pas tout·e seul·e avec ses galères et il se crée de belles synergies entre les jeunes. Nicolas donne l’exemple de la récente sortie au Salon des Métiers avec un petit groupe. « Plusieurs jeunes ont râlé qu’ils connaissaient déjà, mais ils sont quand même venus ». Sur place, l’effet du groupe aidant, certains qui étaient réticents se sont mis à s’intéresser à des métiers et à faire des tests d’aptitude. D’autres conseillaient leurs camarades sur les métiers dans lesquels ils les verraient bien évoluer.

    Un accès plus difficile aux filles

    Les travailleurs et travailleuses sociales de proximité constatent depuis longtemps qu’il y a très peu de filles dans l’espace public, ce sont surtout les garçons qui occupent ce territoire. Parfois, elles·ils rencontrent des groupes de filles qui font la fête et boivent de l’alcool, mais c’est rare. Il est donc plus difficile pour les TSHM d’entrer en contact avec des filles qui auraient besoin d’une main tendue. Heureusement, grâce à l’efficacité du bouche-à-oreille, c’est plutôt elles qui viennent dans les locaux, parfois directement ou parfois avec le prétexte d’accompagner quelqu’un dans un premier temps. Chez elles, selon les cas, les problématiques peuvent être lourdes et pas forcément abordées spontanément.

    Une immersion dans le TSHM

    Nous accompagnons ensuite Nicolas, pour un tour de fin de journée dans les rues de Vevey, dans le cadre de son activité de TSHM. Ce soir-là, un jour de fin novembre, la température avoisine déjà zéro degré et une petite bise nous gèle le visage. Aujourd’hui, c’est calme. La température et la nuit tombante y sont pour quelque chose. Nous ne rencontrons qu’un seul groupe de quatre jeunes hommes d’environ 15 à 17 ans. Nicolas les salue et leur parle quelques minutes pour savoir comment ils vont et s’ils n’ont pas trop froid. Un des jeunes est venu le jour-même à la permanence pour des démarches d’insertion professionnelle et ne reconnait pas tout de suite le travailleur social sous son bonnet. Pas de souci pour ces jeunes qui discutent tranquillement en fumant des clopes. Nous poursuivons notre chemin, en passant par les rives du lac où un magnifique coucher du soleil est en train de se dissiper. Nicolas nous montre ensuite différents endroits et recoins appréciés des groupes de jeunes et dans lesquels parfois les situations s’échauffent. Ses 15 années d’expérience professionnelle dans ce poste lui permettent non seulement de connaitre Vevey comme sa poche, mais surtout lui facilitent le contact avec les jeunes – il a rarement besoin de se présenter. Selon lui, une expérience d’au moins 3 ans est nécessaire pour se faire connaître auprès des jeunes et pour acquérir leur confiance. L’expérience acquise au fil des ans permet aussi de trouver la bonne distance à avoir avec les personnes rencontrées, de savoir quelles sont les méthodes d’approche et d’intervention qui marchent le mieux et de sentir si une situation peut devenir dangereuse. Le TSHM n’est pas fait pour tout le monde, c’est souvent une vocation. Aucun doute ne persiste quant à la vocation de Nicolas, sa passion est palpable dès qu’il parle de son métier.

    Une approche proactive qui marche

    La grande force du travail social hors murs réside dans la prévention. Cette proactivité, qui se distingue en cela d’autres méthodes, permet d’entrer en contact avec des jeunes parfois même avant que leur situation personnelle ne dégénère et qu’une marginalisation ne s’opère. Des solutions sur mesure leur sont proposées afin qu’elles·ils aient la chance de prendre le train en marche, de retrouver une confiance en soi et de réaliser leur potentiel.
    Et quelle récompense pour l’équipe des TSHM quand elle recroise au hasard d’ancien·ne·s participant·e·s, devenu·e·s des adultes bien dans leurs baskets, poussant parfois une poussette, avec le sentiment de se donner des nouvelles d’égal·e à égal·e.

  • En mouvement vers l’insertion

    En mouvement vers l’insertion

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    Intégré dans certains programmes d’insertion socioprofessionnelle, le sport ou les activités en plein air améliorent la condition physique des participant·e·s, mais aussi bien d’autres aspects comme la langue pour les allophones ou encore les capacités de travail en équipe. Reportage au sein d’un atelier de l’OSEO Vaud et focus sur d’autres mesures de nos membres.

    À la sortie du train, à Grandvaux en plein cœur du Lavaux, la chaleur est écrasante, ce mardi après-midi du mois de juin. Joalsiae Llado est job-coach & formatrice à l’OSEO Vaud. Elle arrive avec quatre participant·e·s à son atelier “Bouger pour ma santé”. “On va se mettre à l’ombre pour un petit échauffement”, lance-t-elle.

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    Joalsiae Llado, job-coach & formatrice à l’OSEO Vaud, montre des exercices d’échauffement aux participant·e·s

    Sont présents Fred, de nationalité suisse, Silvia Marina du Brésil, Rosa Maria de Colombie et un jeune homme turc qui souhaite rester anonyme. C’est parti pour la séance de mise en condition, avant une balade qui doit les amener jusqu’à Lutry, dans des vignes luxuriantes et avec une vue à couper le souffle. La coach montre quelques exercices simples pour se chauffer les chevilles, les genoux, ou encore les épaules. “L’objectif est de leur montrer des gestes accessibles qu’ils peuvent facilement répliquer à d’autres occasions et créer un rituel pour eux-mêmes”, relate-t-elle. Le choix de la balade, aussi, n’est pas anodin : “Avec ce paysage, il y a un divertissement visuel, cela motive à marcher. On se dit que l’on va ramener des souvenirs”.

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    Une motivation à se bouger qui plaît à Rosa Maria. Elle a quitté la Colombie il y a 14 ans. “Avant je ne sortais pas beaucoup, raconte-t-elle. Ma situation ici, loin de ma famille restée en Colombie, me procure beaucoup de stress. Donc cela me fait du bien de bouger. D’ailleurs, depuis que je suis cet atelier, j’ai commencé à faire d’autres marches, le long du lac. Et puis je rencontre des gens sympathiques et j’améliore mon français en parlant avec eux.”

    Des bienfaits multiples

    Pour la responsable, la création de cet atelier au sein d’OSEO Vaud il y a quelques années fut une évidence. “Le mouvement permet une forme d’élévation de l’état d’esprit, de faire face aux problèmes de façon plus créative, déclare Joalsiae Llado. Alors, en tant qu’ancienne athlète professionnelle, je trouvais que ça faisait sens d’intégrer l’activité physique dans une mesure d’insertion : on y trouve des valeurs fortes telles que l’humilité, la remise en question, la persévérance, la rigueur, notamment.”

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    Si ce jour-là, ils sont quatre, habituellement, ce sont une dizaine de personnes qui participent une fois par semaine au programme. Celui-ci varie de la balade à des jeux de mobilité ou de stratégie inspirés de ceux utilisés dans le team building. “Le groupe cible est composé de personnes de tout âge, de 18 à 55 ans, explique-t-elle. Ce sont des profils relativement sédentaires, qui ont besoin de retrouver confiance en leur capacité à se mobiliser et à se sentir agir”. L’atelier a vu le jour au travers du projet InVaud en 2017 regroupant un public allophone et est ouvert, aujourd’hui, aussi aux francophones, permettant une mixité intéressante en termes d’insertion.

    En chemin vers Lutry, le petit groupe s’arrête vers la statue de Corto Maltese à Grandvaux. Joalsiae Llado profite de cette petite pause pour lancer un jeu. Les participant·e·s doivent trouver le nom du personnage de bande dessinée et de son auteur, l’Italien Corto Maltese qui a vécu les dix dernières années de sa vie dans le village vaudois. Une manière ludique de découvrir un peu de culture locale avant de reprendre l’effort sous le soleil.

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    Pour la coach, aucun doute, ce genre d’atelier a toute sa place dans des programmes d’insertion socioprofessionnelle. “Je pense que le sport et les activités physiques sont même un outil sous-exploité dans l’insertion, affirme-t-elle. On me dit parfois : “c’est super ton atelier toutes les semaines, mais est-ce que cela aide réellement au placement sur le marché du travail ?”. Je réponds “non, pas directement”, mais c’est une base indispensable qui permet de reprendre confiance en soi et à apprendre à collaborer en équipe.”

    FOCUS

    Des personnes migrantes dans des clubs

    Avec le nouveau projet Diversi’Team de l’EPER, des personnes migrantes peuvent intégrer des clubs sportifs ou des équipes. “À travers un autre programme de l’EPER, on s’est rendu compte, au contact de personnes migrantes, qu’il y avait une demande pour pratiquer du sport, mais qu’il y avait des barrières, comme le coût ou la difficulté à trouver un club, relate la stagiaire assistante de projet de DiversiTeam Tamara Strasser. Un projet pilote a été monté et a permis à 25 personnes de rejoindre une équipe. Cette première saison a remporté un grand succès. En 2023, 40 personnes supplémentaires devraient rejoindre Diversi’Team.”

    C’est toujours la personne bénéficiaire qui vient avec une envie. “Parfois c’est un·e sportif·ive, parfois non. On cherche ensuite un club ou une équipe prête à l’accueillir. Les frais sont pris en charge par le programme. Parfois ils sont partagés avec l’EVAM, le club ou un autre partenaire.”

    L’objectif du programme est multiple. “Premièrement, et c’est sans doute le plus important, cela crée du lien social avec une population qui souffre souvent d’isolement social. Les personnes migrantes qui viennent nous voir nous disent : “je veux pouvoir rencontrer des gens et parler français”. Diversi’Team permet d’établir un lien direct avec la population. Cela améliore aussi les compétences linguistiques. Les participant·e·s apprennent le français dans un contexte différent d’un cours, durant les entraînements ou via le groupe WhatsApp de l’équipe. Et puis, le côté de promotion du sport et de la santé est également très important. On le sait, pratiquer une activité physique régulière a des effets positifs sur la santé physique, et également mentale. Les entraînements rejoints grâce à Diversi’Team sont souvent le seul loisir que les participant·e·s ont et représentent une parenthèse bienvenue dans leur quotidien. Diversi’Team permet un suivi personnalisé pour trouver une activité physique adaptée à chacun·e, selon les besoins et possibilités des personnes inscrites.”

    Les sports sont très variés : soit collectifs, comme du foot, du volley, du basket, ou s’exerçant en groupe, comme la danse, le yoga, la natation ou la grimpe. Les activités individuelles comme le fitness ne sont cependant pas acceptées.

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    FOCUS

    Un après-midi sport pour relâcher la pression

    La mesure d’insertion Bio+, qui fait partie de l’association Mobilet’, accompagne les 15-25 ans dans la construction de leur projet professionnel. Depuis près d’un an, elle intègre un après-midi hebdomadaire consacré à des activités sportives, sous la responsabilité de Gustave Deghilage. “Avant, cela se faisait de manière épisodique, explique-t-il. Il n’y avait pas toujours de personnes à l’interne prêtes à assumer cette activité, et pas de budget pour engager des personnes externes. Mais en tant qu’ancien entraîneur d’athlétisme, il me tenait à cœur de pérenniser le projet. Pour nous, il est important de proposer du sport aux participant·e·s. Cela leur permet bien sûr de bouger, d’améliorer leur condition physique et leur mental. Mais c’est également une opportunité pour eux de vivre une activité qui sorte du programme « professionnel », essentiellement axé sur la recherche d’une formation (rédaction de CV et de lettres de motivation) et sur les appuis scolaires.

    Ainsi, chaque jeudi après-midi une activité différente est proposée : il y a notamment du football, du basket, du volley, de la course à pied, de la boxe, de la grimpe, du badminton ou encore de la condition physique. Les jeunes peuvent alors s’inscrire aux activités qui les intéressent. Dix places sont proposées chaque semaine, mais c’est régulièrement entre 5 et 6 personnes qui participent.

    “On a tout type de public, relate le responsable. Bien sûr, il y quelques “footeux” qui ne s’inscrivent que pour cette activité lorsqu’elle est proposée, mais il y a aussi des jeunes moins sportifs, qui veulent simplement bouger. Il n’y a aucune obligation de participer à ces activités. Par contre, il peut y avoir une discussion avec la personne référente pour motiver un.e jeune à participer.”

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  • Le journalisme pour acquérir des compétences transversales

    Le journalisme pour acquérir des compétences transversales

    Participante radio

    Voix d’Exils est un programme d’activité de l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) et un média d’expression libre pour les personnes migrantes qui fait ses preuves depuis plus de 20 ans. Pour son coordinateur Omar Odermatt, un tel outil d’insertion peut être utilisé avec d’autres populations.

    C’est dans la fourmilière du centre administratif de l’EVAM, au sud de Lausanne, que se trouve la rédaction de Voix d’Exils. Ce média a été créé par l’ancêtre de l’EVAM, la Fondation vaudoise pour l’accueil des requérants d’asile (FAREAS), sous la forme d’un journal papier en 2001. C’est en 2010 qu’est lancée une nouvelle version, uniquement sur internet, dans laquelle sont publiés des articles en lien avec l’asile et la migration mais aussi des sujets de société du point de vue des personnes migrantes.

    Le programme est coordonné par Omar Odermatt et Afif Ghanmi. Il est intercantonal, avec des rédactions dans les cantons de Vaud, du Valais, de Neuchâtel, ce qui représente une vingtaine de personnes. Une formation commune est dispensée une fois par mois afin de transmettre aux rédacteurs et rédactrices des compétences en journalisme multimédia. Les bénéficiaires sont au nombre de huit dans le canton de Vaud et se réunissent le lundi pour une séance de rédaction durant laquelle elles et ils proposent des sujets avant de les traiter le reste de la semaine. Un podcast hebdomadaire « le Flash infos » est également réalisé. “La plupart des profils qui intègrent Voix d’Exils ont effectué des études supérieures dans leur pays ou ont des compétences utiles au programme, explique Omar Odermatt. Ce ne sont pas uniquement des journalistes.”

    Durant toutes ces années, ce qui est à la fois un programme d’activité et un média indépendant a vu passer de nombreuses personnes issues de l’asile, avec parfois des parcours exemplaires. “J’ai une histoire qui me vient à l’esprit, c’est celle de Keerthigan Sivakumar, originaire du Sri-Lanka qui est arrivé en Suisse en 2009, relate le responsable de la rédaction. Il a rejoint le programme Voix d’Exils en 2011 et ne parlait presque pas français. Il s’intéressait au journalisme et a commencé à faire des films. Il s’est ensuite formé à l’École romande d’arts et communication (eracom) puis à l’école cantonale d’art de Lausanne (ECAL). Aujourd’hui, Keerthigan Sivakumar est réalisateur de cinéma et a été primé aux Journées de Soleure en 2022.”

    Une porte d’entrée vers d’autres métiers

    Reste que la plupart des migrant·e·s qui participent à Voix d’Exils n’ont pas forcément un tel parcours. “C’est vrai, ajoute-t-il. Il y a d’ailleurs eu par le passé des personnes qui se demandaient à quoi sert Voix d’Exils car le journalisme n’offre effectivement que peu de débouchés professionnels. Une recherche a alors été menée au sein de la rédaction qui a permis de mettre en évidence l’impact positif d’une telle mesure, avec l’acquisition de compétences transversales, donc transférables dans d’autres secteurs d’activités, comme travailler en équipe, structurer son raisonnement ou encore s’exprimer en public.”

    Et puis, bien sûr, Voix d’Exils est aussi une manière originale et concrète d’apprendre le français. Lors de notre visite, deux participantes réalisaient le Flash infos. “Je viens de Colombie où j’étais journaliste, raconte Renata Cabrales. Je suis arrivée en Suisse il y a trois ans. C’est très difficile pour moi, parce que la prononciation est très différente entre le français et l’espagnol, mais ce podcast est un bon outil d’’apprentissage. Et d’une manière générale, je suis très contente de croiser ici d’autres personnes, cela me permet de mieux m’intégrer.”

    Au final, cette expérience collective à travers un projet journalistique semble un outil intéressant pour favoriser l’intégration des personnes migrantes. Mais pour Omar Odermatt, il est aussi adapté à d’autres populations. “Je l’ai moi-même expérimenté avec des personnes vivant avec un handicap mental, poursuit-il. Que le but soit d’intégrer le marché du travail ou non, cela permet de s’épanouir, de se développer d’un point de vue personnel. Et à travers le journalisme, ces personnes peuvent avoir des contacts extérieurs, sortir du milieu auquel elles sont assignées par leur situation.” 

    Pour découvrir le média en ligne: www.voixdexils.ch

    Reportage vidéo chez Voix d’Exils

    FOCUS
    Des vidéos réalisées au sein d’Emploi Lausanne

    Pas de journalisme au sein du programme 5D d’Emploi Lausanne, mais bel et bien de la création de contenus multimédias. Supervisé par Olivier Dommange, 5D comporte trois pôles : le web, le graphisme et l’audiovisuel et compte entre 25 et 30 participant·e·s. “Ce sont pour la plupart des gens en recherche d’emploi qui viennent via l’ORP, mais occasionnellement aussi de l’assurance invalidité ou les CSR, relate le responsable. Nous réalisons des projets pour différents clients, généralement la ville de Lausanne, le canton, les organismes de l’insertion (ndlr : 5D a réalisé les sites internet d’Insertion Vaud et Insertion Suisse) ou encore le milieu associatif.” Cela va de la mise en place d’un CMS (système de gestion de contenu web), à la production de graphismes, d’illustrations, d’affiches, de photos ou de vidéos. “Dans ce dernier domaine, nous avons par exemple réalisé des vidéos de présentation de mesures pour les ORP du canton, ou encore dernièrement des vidéos scénarisées pour illustrer les différentes prestations offertes par le centre Saint-Martin du Service social de Lausanne”, ajoute-t-il. La mesure est destinée à des personnes disposant au préalable de compétences techniques. “Dans ces domaines, le marché du travail est assez volatile, ce qui fait que les travailleur.euse.s peuvent se retrouver au chômage tous les deux ou trois ans, par exemple, explique Olivier Dommange. Notre programme leur permet alors d’augmenter en compétences afin de retrouver du travail, mais aussi de gagner en confiance. Enfin, nos projets sont concrets, ce qui est motivant pour les personnes impliquées.”

  • L’insertion couleur verte

    L’insertion couleur verte

    clipMesureEcolo

    Les mesures sont de plus en plus axées sur la nature et sur l’écologie. Focus sur deux mesures de membres d’Insertion Vaud.

    En 2020, grâce à l’appel à projet de la Direction générale de la cohésion sociale du canton de Vaud nommé «l’écologie, une opportunité pour l’insertion sociale et professionnelle», des mesures “vertes” ont vu le jour. Parmi elles, “Mission Nature”, une initiative de Bénévolat Vaud. “Notre idée était de créer une mesure favorisant l’insertion sociale par une sensibilisation aux bienfaits de la nature et l’écologie, tout en bénéficiant d’échanges enrichissants au sein d’un groupe”, relate Magali Donzel, chargée de projet.

    Mission Nature propose, dans ce but, vingt ateliers théoriques et pratiques sur la santé, l’écologie et le bénévolat. “Par exemple, les bénéficiaires suivent un atelier théorique sur le sommeil, puis se rendent dans la nature pour y cueillir des plantes médicinales favorisant le sommeil, décrit Magali Donzel. Notre offre est complétée par un accompagnement individualisé et régulier, mais aussi par la possibilité d’exercer une mission bénévole au sein d’associations actives en faveur de l’environnement.”

    Reprendre confiance

    Douze personnes suivent la mesure sur une durée de 6 mois. Elle comprend généralement une formation théorique de 2h30 ainsi qu’un atelier pratique, ou une visite d’association, d’environ une demi-journée. «C’est une mesure de rétablissement du lien social qui vise avant tout à reprendre confiance en soi, développer ses compétences et l’envie d’acquérir des connaissances, explique Magali Donzel. La dynamique du groupe est aussi importante pour un public qui vit souvent isolé du reste de la population.”

    Encore à ses débuts, le programme montre de premiers résultats encourageants, comme pour cette bénéficiaire d’un des premiers cycles croisée il y a peu par la responsable. “Elle m’a dit que notre programme lui avait redonné confiance en elle et en ses compétences. Aujourd’hui, elle va intégrer la mesure Prolog Emploi après avoir suivi une mesure socio-professionnelle. Dorénavant, elle co-anime en qualité de bénévole des ateliers de fabrication de cosmétiques à base de produits naturels au sein de notre association partenaire «Brins de savoir»« . 

    Développer un éco-jardin

    À la Fondation Le Relais, à Morges, la nature est aussi un outil d’insertion en plein développement. Cet été, les participants ont continué le développement d’un éco-jardin (voir vidéo ci-dessous). Au sein de la mesure Terra Tempo, les bénéficiaires cultivent toute sorte de légumes, fruits et plantes médicinales ou aromatiques, ou s’initient à l’apiculture. “Travailler avec le vivant, la nature, cela aide à se reconnecter avec soi-même, s’ancrer, recouvrir de l’énergie et se redécouvrir sous d’autres horizons ou potentiels”, déclare Karine Desselberger, maîtresse socioprofessionnelle en maraîchage et éco-jardin.

    La mesure d’insertion sociale est un “premier échelon” vers l’emploi avec, comme principaux objectifs, la reprise de confiance en soi, la construction de liens sociaux ou encore le développement d’une conscience écologique. “J’adore travailler dehors, raconte Anthony, bénéficiaire de Terra Tempo. Cela nous permet de voir d’autres choses, comme cet éco-jardin, mais aussi d’envisager un travail qui a du sens.” Pour Karine Desselberger, que l’insertion s’implique dans la transition écologique est logique. “Le jardin, la nature, c’est thérapeutique, déclare-t-elle. La société change, et cette mesure est un moyen de mettre un pied dans ce changement, tout en étant créatif.”

    D’une durée de 4 mois renouvelables, Terra Tempo propose également des formations aux outils informatiques ainsi qu’aux tâches administratives. Une collaboration est également mise en place avec les entreprises d’insertion du Relais, comme le service traiteur, le tea-room, les secteur menuiserie, peinture et rénovation, nettoyage et intendance et atelier-vélos.

    D’autres mesures de nos membres sont en lien avec la nature et l’écologie, notamment proposées par Démarche, Emploi Lausanne, Jobtrek, L’Eveil, L’Autre Temps, Mentor Energy, Mode d’emploi, Oseo Vaud, SemoNord et Smoothie Intégration. Notre newsletter de juin 2021 en citait quelques-unes en lien avec la lutte contre le gaspillage alimentaire.

    L’insertion couleur verte – Focus sur la mesure Terra Tempo de la Fondation Le Relais from Insertion Vaud on Vimeo.

  • Le vélo pour lever les freins à l’employabilité

    Le vélo pour lever les freins à l’employabilité

    Vélo

    Les deux-roues sont au cœur de nombreuses mesures d’insertion socioprofessionnelle. Accessibilité de la mécanique, économie circulaire ou durabilité, ce moyen de transport coche beaucoup de cases. Mais les débouchés professionnels restent marginaux.

    Dans la capitale vaudoise, derrière la place centrale de la Riponne, se cache la bien nommée “Maison du vélo” de l’association PRO VELO Région Lausanne. Géré par l’EVAM, l’atelier mécanique en libre-service gratuit, permet à tout un chacun d’y effectuer des petites réparations. Lors de notre visite, trois bénéficiaires de l’EVAM s’affairaient autour de vélos. “Je ne connaissais rien aux vélos, nous raconte l’un d’entre eux, originaire de Guinée-Bissau. J’ai appris petit à petit en travaillant ici.” La mécanique, mais aussi le français, une matinée par semaine étant dédiée à l’apprentissage de la langue. “Et les autres jours, nous prenons un petit moment pour discuter en français avec les bénéficiaires, notamment de l’actualité, relate Lionel Philippoz, responsable de l’atelier. L’objectif est qu’ils soient capables d’accueillir les clients.”

    À la “Maison du vélo”, la mobilité douce est donc utilisée comme un rouage de l’insertion, avec des bénéficiaires qui se familiarisent avec notre culture, mais aussi les impératifs du monde professionnel, avec ses règles et ses horaires. “La mécanique sur vélo permet aussi de responsabiliser les participant·e·s, ajoute le formateur. Lorsqu’un·e· client·e· vient avec un pneu crevé, les autres parties du vélo sont contrôlées. Il faut que le ou la propriétaire du vélo puisse ensuite rouler en toute sécurité.”

    Livraisons de produits frais et locaux
    Autre membre d’Insertion Vaud, Jobtrek a également placé le vélo au cœur d’une mesure d’insertion, grâce à la Sàrl Zélo qui a été mise en place via l’association Jobtrek, il y a environ trois ans. “L’initiative émane d’André Burri, avec l’objectif de proposer un service de livraison de produits frais et locaux dans les régions de Gland et Nyon, et le tout sans aucun déchet, nous explique Estelle Guex, responsable d’Ecotrek. Les client·e·s commandent en ligne, puis sont livrés à vélo cargo. Ils reçoivent alors les aliments dans des contenants, et Zélo reprend ensuite ces contenants, les lavent et les reconditionnent pour de nouvelles livraisons. Les produits sont aussi récoltés sans déchet via les producteurs.”

    Les participant·e·s de Jobtrek sont accueilli·e·s dans la structure d’André Burri pour y accomplir diverses tâches en fonction de leurs capacités. “Certain·e·s l’accompagnent pour les livraisons en vélo cargo électrique, puis deviennent ensuite autonomes pour réaliser des tournées en solo”, ajoute Estelle Guex. Zélo compte se développer dans d’autres régions, notamment du côté de Lausanne, ouvrant ainsi la porte à de futur·e·s participant·e·s dans la capitale vaudoise.

    Alors, le vélo, nouvel eldorado de l’insertion ? “C’est un très bon moyen pour que les participant·e·s rétablissent un lien avec le monde professionnel, répond la responsable. Et c’est clairement un moyen de transport d’avenir. Par contre, à l’heure actuelle, ce n’est pas un levier très fort pour trouver un emploi. Le monde du travail est encore majoritairement tourné vers la voiture.”

    Développement de compétences connexes
    Reste, néanmoins, que les bénéficiaires de mesures en lien avec le vélo emportent avec eux des savoir-faire qui peuvent être utiles dans d’autres corps de métier. Chez Pro-Jet, à Nyon, on gère le parc de vélos en libre-service PubliBike. Là, ce sont des jeunes en recherche d’apprentissage qui réparent, changent les batteries ou répartissent les vélos dans les différentes stations (voir reportage vidéo ci-dessous). “Mon objectif est de trouver un apprentissage en tant qu’horloger, nous confie Thomas, l’un des participants. Ce travail manuel et minutieux avec les vélos peut beaucoup m’aider.”

    À Yverdon, autre prestataire de vélo en libre-service, mais même concept. Les vélos de Donkey Republic sont réparés à l’atelier VLSolidaire par des personnes bénéficiaires du RI, suivies dans le cadre d’une Unité commune et sans perspectives immédiates d’emploi. La mesure est proposée par Caritas Vaud. « L’objectif n’est pas de former des mécanicien·ne·s sur vélo, déclare Damien Knoepfli, responsable de l’atelier. Nous cherchons plutôt à observer les participant·e·s, à voir s’ils s’adaptent au rythme de travail. Certains n’ont plus travaillé depuis de nombreuses années. Mais cela crée parfois des vocations. Certains ont commencé un apprentissage dans ce domaine. »  

    Pour Damien Knoepfli, le vélo est donc un très bon outil pour les mesures d’insertion. “Les vélos en libre-service encore plus, ajoute-t-il. Avec un parc de vélos suffisamment grand, nous n’avons pas la pression de les réparer au plus vite. Nous pouvons prendre le temps avec les participant·e·s lorsque cela est nécessaire. »

    La société coopérative Démarche est aussi active sur Yverdon. Depuis 2020, elle forme dans son entité styyle des apprenti·e·s mécanicien·ne·s en cycles. Les vélos sont récoltés via les différentes polices cantonales, réparés, puis vendus à bas prix dans les boutiques Ateapic, qui appartiennent à la coopérative.

    On le voit donc, les mesures d’insertion socioprofessionnelle autour du vélo sont très nombreuses. Et elles ont sans aucun doute de l’avenir. Le secteur des deux-roues est en effet en fort développement ces dernières années. En Suisse, durant la pandémie en 2020, les ventes ont augmenté de 24,4% pour atteindre près de 2,4 milliards de francs[1].

    [1] Etude de marché réalisée dynaMot

    Reportage vidéo : Le vélo et l’insertion des jeunes au sein de l’association Pro-Jet à Nyon

  • Ex-SDF, il témoigne : « Il y a toujours quelque chose à tirer de toute situation »

    Ex-SDF, il témoigne : « Il y a toujours quelque chose à tirer de toute situation »

    Ayant retrouvé un emploi qu’il adore à tout juste 50 ans, après six années de galère sans domicile fixe et deux ans d’aide sociale, un bénéficiaire du programme InPlus d’Insertion Vaud a accepté de partager son expérience pour montrer qu’il est possible de s’en sortir avec une attitude positive et quelques coups de pouce.

    Parapluie pluie

    ©iStock

    Il restera anonyme. Jean-René (prénom fictif) est bien réel mais ne tient pas « à faire étalage de [sa] personne ». Pendant six ans, il a vécu sans domicile fixe, dormant parfois à la belle étoile, parfois dans des caves d’immeuble, et par moments chez des amis ou des connaissances, en échange de divers services et travaux de bricolage. Mais pendant tout ce temps, personne n’était au courant de sa situation. « Je me suis toujours débrouillé pour que ça ne se remarque pas. J’étais mal à l’aise de demander de l’aide. »

    Invité à raconter son histoire, il commence par dire pudiquement qu’il a eu beaucoup de chance. Le négatif est toujours minimisé, édulcoré. L’auto-apitoiement ne fait pas partie de son registre. Aujourd’hui de retour dans la vie professionnelle, la même discrétion l’accompagne face à ses nouveaux collègues. Personne ne se douterait d’une telle trajectoire, commencée de la manière la plus ordinaire qui soit mais qui l’a parfois amené à faire les poubelles.

    Cela, pourtant, il ne le raconte pas tout de suite. Il préfère insister sur le fait qu’il n’a « jamais tendu la main dans la rue, jamais volé, jamais resquillé ». « Le seul argent que j’avais, c’était les pièces que je trouvais en faisant le tour des caddies de supermarché. En achetant un paquet de pâtes à un franc et un bocal de sauce à un franc, avec ça je faisais la semaine si je trouvais un endroit pour les cuire. »

    La dégringolade

    Mais comment se retrouve-t-on à la rue, à passé 40 ans, quand on est comme lui intelligent, bien formé et bien intégré, après avoir occupé des postes exigeants dans de grandes entreprises ? « Ce qui m’a amené à dégringoler, c’est une baisse de salaire assez brutale et mon manque de réaction face à ça. Evidemment, les charges restent les mêmes, et comme pour beaucoup de monde, ce sont les impôts qui ont été le déclencheur. »

    A cette époque, en manque de motivation dans un poste commercial, son salaire chute de 30% et plutôt que d’en informer l’administration fiscale, il laisse couler, ne remplit pas sa déclaration et se découvre taxé d’office. Quand les poursuites le rattrapent, il n’a le droit de conserver que le minimum vital et se retrouve incapable de payer le loyer de son appartement, dont il sera expulsé en 2012. Peu après, il perd également son travail.

    « Sans domicile, comment retrouver du boulot ?  Et très vite, l’obsession première, c’est le quotidien : où est-ce que je vais dormir, qu’est-ce que je vais manger ? J’étais un champion du Tetris : j’avais un petit sac à dos avec tout dedans. Mon obsession, c’était qu’on ne voie pas que je suis à la rue. Je n’avais plus d’assurance maladie, plus rien. J’étais un OVNI ».

    Coup de pied aux fesses

    Il lui faudra des années pour remonter la pente. Jusqu’au jour où il commence à avouer sa réelle situation à son entourage. « J’avais coupé tout contact avec ceux d’avant, mais pas perdu toute vie sociale, notamment certains amis rencontrés au fil du temps. Une d’entre eux m’a mis un coup de pied aux fesses et m’a conduit dans sa commune pour m’inscrire au social. » A partir de là, dit-il, il n’a rencontré « que des gens supers ».

    On est alors début 2019. L’assistant social commence par se préoccuper de son problème de logement et lui trouve une solution provisoire dans une chambre d’hôtel, puis l’inscrit dans une mesure d’insertion destinée à l’aider dans sa recherche d’appartement. Jean-René, de son côté, contacte l’administration fiscale et affronte ses erreurs passées. « Ils ont été vraiment-vraiment sympas. Même une administration qui a l’air aussi sèche et rigoureuse que les impôts, ce sont aussi des êtres humains. La négligence se paie cher, mais si on arrive humblement en reconnaissant ses bêtises, le dialogue est possible. »

    Mal à l’aise de « profiter »

    Sa recherche d’appartement ne donnant rien dans l’immédiat, il demande à suivre une mesure axée sur la recherche d’emploi tout en continuant à déposer des dossiers de candidature auprès des gérances. « Je me sentais très mal à l’aise dans cette situation, surtout quand on voit des gens qui triment pour un tout petit salaire. Pour moi c’était urgent de sortir du social car je me sentais comme un profiteur. »

    Cette nouvelle mesure lui permet de refaire son CV et d’effectuer les démarches pour récupérer ses anciens certificats de travail, mais il tourne très vite en rond : « N’ayant aucun problème de français ou d’informatique, je n’avais pas besoin du même encadrement que d’autres bénéficiaires. Par contre, je n’avais aucun projet professionnel concret à ce stade. J’étais ouvert à tout, mais sans idée particulière. »

    Son assistant social lui parle alors de la mesure InPlus, qui vient de démarrer chez Insertion Vaud. En janvier 2020, il rencontre ainsi Ilaria Eddih-Meschiari, chargée de ce projet mandaté par la Direction de l’insertion et des solidarités de l’Etat de Vaud. L’objectif est d’accompagner des personnes cinquantenaires ou presque, bénéficiaires de l’aide sociale, dans la construction d’un projet de réinsertion, en collaboration avec des organismes prestataires de l’insertion membres de l’association faîtière.

    Se remettre en mouvement

    Ilaria ? « Une personne pétillante, pleine d’énergie, positive, à l’écoute, qui sait comment mettre les gens en mouvement », décrit Jean-René. Même avec la pandémie de coronavirus, une fois le semi-confinement imposé en mars 2020, le contact a été maintenu par téléphone et visioconférence. Puis, en été, Ilaria l’envoie chez Connexion-Ressources, une entité de la coopérative Démarche, dans l’idée de permettre à Jean-René de faire des stages.

    Et là, le miracle des réseaux sociaux fait son œuvre. Quelques lignes sur LinkedIn postées par un conseiller en insertion aux contacts étendus attirent le regard de quelques responsables des ressources humaines. Jean-René y est brièvement décrit avec ses compétences et domaines d’activités passés. Sa maîtrise des langues et son expérience du contact clientèle font mouche. Quelques semaines et deux entretiens plus tard, il est engagé comme collaborateur d’assistance informatique par une grosse organisation présente dans toute la Suisse et dont le siège se trouve dans un canton alémanique.

    L’informatique ? Il n’y avait même pas pensé, car il n’en a pas la formation. « Je m’y connais un peu et je m’y suis toujours intéressé, comme à beaucoup d’autres choses. Ma curiosité m’aide un peu et j’ai toujours aimé me documenter, alors j’ai un peu de facilité…  », dit-il modestement.

    Des compétences insoupçonnées

    « Ce que j’aimais dans le commercial, c’était de dépanner le client. C’est exactement ce que je fais maintenant dans l’informatique. Au début je ne me rendais pas compte que j’avais ces compétences. Quand vous ramassez les pièces dans les caddies, vous ne faites pas preuve de génie, juste un peu d’astuce. Vous avez tendance à vous dévaluer un peu. Cela m’a beaucoup aidé d’avoir Ilaria et les autres, qui m’ont apporté quelque chose d’extraordinaire. Sans eux, jamais je ne serais arrivé là où j’en suis aujourd’hui. »

    Aujourd’hui, Jean-René se déclare « heureux comme un pape » : « Ce job allie tout ce que j’aime. J’ai une indépendance totale, je n’ai plus de pression commerciale, j’aide les gens et je me challenge le cerveau. » De plus, il a atteint son objectif : « Je m’étais fixé comme but de me remettre sur les rails à 50 ans, et même mon assistant social n’y croyait pas trop. » Autres motifs de réjouissance, il a fini par trouver un appartement et s’est même acheté une voiture.

    Ce qu’il aimerait faire passer comme message, « c’est qu’il est possible de s’en sortir quand on le veut vraiment. Il faut rester positif, car il y a toujours quelque chose à tirer de toute situation. Beaucoup de gens pensent que les choses leur sont dues… » Lui en tout cas assure qu’il aurait été prêt à faire n’importe quoi. Il a fini par faire beaucoup mieux.

    >> Le programme InPlus est pérennisé. Voir notre article sur Coaching-Services, membre d’Insertion Vaud ayant été mandaté pour un suivi dans le cadre de ce programme 

  • « Il est possible d’apprendre même à presque 40 ans »

    « Il est possible d’apprendre même à presque 40 ans »

    En quelques années, une mère de quatre enfants sans qualifications et dénuée des compétences de base les plus élémentaires a trouvé du travail et un nouveau sens à sa vie après avoir suivi les cours de l’association Lire et Ecrire. Devenue aide-soignante au chevet des aînés frappés par la pandémie de Covid-19, elle témoigne de son incroyable parcours.

    Laura_photos

    ©Insertion Vaud

    « Je m’appelle Laura Darbelley, j’ai 40 ans, et il y a cinq ans je ne savais même pas écrire le mot ‘bonjour’. Je ne pouvais pas lire mon courrier, je ne savais pas payer une facture, et j’étais incapable de remplir un formulaire. Quand mes enfants faisaient leurs devoirs, je les gardais, mais je ne comprenais rien, et ils devaient s’aider entre eux. »

    Aujourd’hui Laura est auxiliaire de santé dans un foyer pour personnes âgées, elle utilise quotidiennement l’informatique pour renseigner l’état des pensionnaires, est active sur la plupart des réseaux sociaux et a obtenu son permis de conduire avec un sans-faute à l’examen théorique. Récemment, elle a même montré quelques astuces sur Word à son fils aîné…

    Tous ces petits miracles ont une source : les cours de l’association Lire et Ecrire, que Laura a suivis de 2016 à 2019, début d’une nouvelle vie où tout s’est accéléré.

    Une jeunesse roumaine

    Retour au début de l’histoire. Laura est née en 1980 dans un petit village de Roumanie au sein d’une famille de sept enfants. Elle quitte l’école à 14 ans et apprend le métier de couturière, sans passer de diplôme officiel pour autant. « Chez nous, à 18 ans on était déjà considéré comme vieux, alors je me suis mariée très tôt et à 20 ans j’ai eu mon premier enfant, puis très vite ensuite sa sœur est née. »

    Cependant, le couple ne tient pas. La situation économique difficile la pousse à aller chercher du travail en Italie. Elle est alors âgée de 25 ans, et laisse pour cela ses deux petits à sa mère. Pendant deux ans, elle fait toutes sortes de métiers, s’occupe des enfants des autres comme fille au pair, puis entre comme serveuse chez un glacier à Rimini, où elle rencontre son futur nouveau mari, un Valaisan en vacances.

    « Nous avons vécu une belle histoire, mais j’étais encore officiellement mariée, alors je suis rentrée en Roumanie mettre mes papiers en ordre, prendre mes enfants, et je suis arrivée avec eux en Suisse en 2008 pour me remarier. J’étais déjà enceinte et j’ai eu mes deux autres enfants ici, à Villeneuve, où j’ai appris à parler le français. Mon mari travaillait et je m’occupais parfois également de son fils adolescent et de l’enfant de sa fille qui était déjà mariée. J’étais un peu la maman de tout le monde ! »

    Tout recommencer

    En 2014, « ça a mal tourné, on s’est séparé ». Elle se retrouve seule avec quatre enfants sans avoir jamais travaillé en Suisse et incapable de déchiffrer le français. « Par exemple, dans le mot ‘quand’, il y a une lettre qu’on n’utilise pas en Roumanie, le Q, et une lettre qui ne se prononce pas, le D. J’en faisais des cauchemars ! » A ce moment-là, elle pense quitter la Suisse pour rejoindre ses sœurs en Italie. Un avocat lui explique alors qu’elle a droit à l’aide sociale. « Moi j’étais en bonne santé, je voulais travailler ! Mais sans diplôme, qu’est-ce que je pouvais faire ? » C’est finalement son assistante sociale qui l’inscrit en mesure auprès de Lire et Ecrire. « Et c’est là que j’ai repris confiance en moi pour aller plus loin. »

    A raison de deux à trois demi-journées par semaine, elle apprend les rudiments et les subtilités de cette langue complexe qu’est le français oral et écrit. « Les formatrices ne m’ont pas lâchée ! C’est grâce à elles que j’ai pu passer mon permis de conduire, avec elles aussi que je révisais mes cours Croix-Rouge. » Car entre-temps, à l’occasion d’un stage d’intendante dans un EMS, Laura a eu « un déclic : ce que j’aime, c’est aider les gens ! » Elle suit donc les 180 heures de formation nécessaires pour devenir aide-soignante et obtient son certificat Croix-Rouge en 2019, la même année que son diplôme de Lire et Ecrire.

    De l’intérim au contrat fixe

    A partir de là, tout s’enchaîne. Engagée par une société d’intérim, elle multiplie les missions à travers le canton de Vaud. « Partout on voulait me prendre, mais c’était à chaque fois trop loin de chez moi. Et puis j’ai été envoyée à l’EMS Joli-Bois, à 20 minutes de la maison en voiture. Et ça se passe vraiment bien. En février prochain je passerai en contrat fixe à 70%, et ensuite j’aimerais bien essayer de faire le papier pour devenir assistante en soins et santé communautaire. »

    Quand elle parle des pensionnaires dont elle s’occupe, une buée d’émotion recouvre ses pupilles. « On apprend beaucoup des personnes âgées… Avec le Covid, actuellement, c’est dur ! Sept patients sur cinquante-huit sont décédés. Les malades d’Alzheimer ne comprennent pas ce qui se passe. Ils n’ont quasiment plus de visites et ne voient même plus notre visage à cause du masque et de la visière. L’autre jour, un monsieur que j’aimais beaucoup est décédé à l’âge de 77 ans seulement. J’ai pleuré. On s’attache, même s’il ne faut pas. Mais on n’est pas des robots… »

    Envie d’avancer

    En regardant en arrière, Laura s’émerveille à juste titre du chemin parcouru. « Tout cela je l’ai voulu et j’ai réussi ! En Suisse, l’Etat aide beaucoup, mais je n’aime pas être contrôlée, et j’ai toujours envie d’avancer, de progresser. Je pense que c’est un bel exemple pour les enfants. Je leur ai montré qu’il est possible d’apprendre même à presque 40 ans, et que sans diplôme on ne va pas loin. Ils ont compris le message et je suis fière d’eux. Je souhaite à tout le monde d’avoir des enfants comme les miens ! »

    De même, on souhaite à tous les organismes d’insertion d’avoir des participant-e-s comme Laura Darbelley. Prochain objectif : la naturalisation. Elle a déjà obtenu le « passeport des langues », évaluation indispensable pour déposer une demande en tant qu’allophone. Un succès de plus pour cette battante qui ne savait pas écrire le mot ‘bonjour’. « Même si je garderai toujours mon accent ! », dit-elle dans un lumineux sourire.

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    15.12 2020

  • Art, vente et bienveillance : la mesure Artraction tire les âmes vers le haut

    Art, vente et bienveillance : la mesure Artraction tire les âmes vers le haut

    Avec plus de 600 œuvres d’art en stock, l’entreprise apprenante Artraction de la Coopérative Démarche promeut des artistes locaux, régale les yeux de ses clients et offre un nouveau souffle à des personnes fragilisées. Une triple mission qui fait toute son originalité et son succès depuis treize ans, comme une récente exposition à Lausanne vient de le rappeler. D’autres accrochages à Nyon et dans la Broye sont actuellement visibles.

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    ©Insertion Vaud

    Vernissage de l’exposition « Art Déconfiné » à Lausanne le 17 septembre 2020

    De la même manière que le vers de Baudelaire « Luxe, calme et volupté » a inspiré le titre d’un tableau de Matisse, les créations artistiques sont une éternelle source d’innovations. C’est le cas avec la mesure Artraction, qui loue et vend des toiles d’artistes de la région, permettant au passage à des personnes en réinsertion de participer aux multiples facettes de cette activité économique : marketing, communication, négoce, médiation d’art, logistique, ressources humaines, administration.

    « C’est une mesure très appréciée par l’assurance invalidité (AI) des cantons de Vaud et Genève », présente Assya Gendre, responsable du service des ventes de la Coopérative Démarche, qui chapeaute cette entreprise apprenante née en 2007. Dotée de neuf collaborateurs et collaboratrices, Artraction accueille une quarantaine de participant-e-s placé-e-s dans la mesure pour une année en moyenne, en attente d’une décision de rente AI ou en processus de réinsertion professionnelle.

    Population fragile

    « Ce sont souvent des personnes ayant connu un burn-out ou une dépression, parfois très qualifiées et la plupart du temps extrêmement motivées. Le produit est valorisant pour leurs compétences, et leur permet d’en développer d’autres ; par exemple le graphisme, pour créer des invitations aux expositions », poursuit la responsable. La force d’Artraction, selon elle, c’est que les participant-e-s sont confronté-e-s aux réalités du premier marché en termes de délais et d’exigences. Cependant, « le but n’est pas de développer à tout prix l’aspect économique. C’est un équilibre à trouver. Nous sommes face à une population fragile, et notre priorité reste toujours focalisée sur les bénéficiaires ».

    « Nos participants ont vécu des traumas liés au travail qui ont endommagé leur vie professionnelle et privée », renchérit Clément Dussaugey, coach en réinsertion et responsable des ventes et locations d’Artraction. « Ils souffrent d’un manque de confiance, peuvent faire des crises d’angoisse ; parfois ils ont perdu des facultés logiques ou organisationnelles. Ici ils sont dans un environnement ultra-bienveillant. Mais il faut faire attention à ne pas trop les chouchouter non plus. Je suis toujours surpris par la force des gens qui arrivent à surmonter leurs peurs, à venir travailler après des drames et conservent encore de l’énergie pour s’en sortir. »

    Entreprise sociale, économie locale

    Alors que les bureaux d’Artraction sont situés à Genève, l’entreprise prospecte ses clients sur tout l’arc lémanique, voire au-delà, et en recense une vingtaine parmi les cabinets d’avocats ou de notaires, les banques, hôpitaux, restaurants, services publics et institutions diverses, ou encore chez des particuliers. « Nos clients sont touchés par l’aspect social, témoigne Clément Dussaugey. Nous prônons aussi l’économie locale. Mais il faut avant tout que les œuvres leur plaisent. Le volet social est un argument qui porte, mais si les tableaux ne leur plaisent pas, ce n’est même pas la peine… »

    A partir de 45 francs par mois et par œuvre, les clients bénéficient d’un nouvel accrochage tous les quatre mois, proposé sur la base d’un corpus de plus de 600 pièces d’artistes locaux, dont le repérage est une autre tâche à laquelle participent aussi les personnes en mesure. Un autre pan de l’activité consiste à commercialiser des objets d’artisanat dans les boutiques Ateapic de Démarche ou sur son site de vente en ligne. Là aussi, le travail de créateurs de la région est valorisé.

    Démocratiser l’art

    Artraction organise en outre régulièrement des événements, notamment dans la capitale vaudoise, siège de la Coopérative Démarche. Mi-septembre 2020, une exposition de toiles « déconfinées » a eu lieu dans le quartier lausannois du Flon, proposant une quarantaine d’œuvres à moitié prix, sélectionnées par les artistes eux-mêmes. De juillet à octobre, une des artistes du catalogue, Nadia Merzoug, a également été exposée sur les murs de Retraites Populaires, dans un couloir menant à l’Office des impôts de Lausanne. Cette visibilité bienvenue pour les artistes concourt à démocratiser l’art en touchant un public qui ne court pas les galeries et vernissages. Des ventes ont ainsi lieu grâce à des passants tombés sous le charme d’une toile vue chez un client d’Artraction.

    La coordinatrice artistique, Nina Raeber, peut compter sur huit participant-e-s pour gérer le corpus des œuvres, trouver de nouveaux artistes, composer les accrochages. « Avec du bon sens, de l’écoute et de la bienveillance, on peut obtenir des résultat dingues », estime la responsable. Peu à peu ce sont les participant-e-s qui font des propositions aux clients, assure-t-elle. Il y a beaucoup de données techniques à respecter : taille des œuvres, prix, disponibilité, cohérence avec les autres toiles.

    Dans leur grande majorité, les clients veulent de l’abstrait et du coloré, affirme Nina Raeber. La photographie et le pop’art marchent aussi très bien. La coordinatrice artistique est fière d’avoir quelques artistes confirmés dans son catalogue, comme Nicolas Noverraz, Petr Beránek, Pierre-Alain Morel, Renée Furrer ou Simone Monney. « Pour les artistes, le volet social est un plus, et ils sont assez patients avec nous. La gestion est professionnelle, mais cela reste de l’insertion, et il peut y avoir des couacs. »

    Des bénéficiaires impliqués

    Juste après avoir parlé avec Nina Raeber, nous faisons la connaissance d’Emilie, une participante de 32 ans, qui vient précisément de tomber sur un petit problème : un autre participant a oublié de retirer des œuvres disponibles la fiche d’une œuvre déjà placée chez un client. La jeune femme prend sa mission très à cœur et affirme trouver « beaucoup de plaisir à choisir les tableaux afin de former un ensemble cohérent à proposer pour que ce soit beau quand ce sera accroché ». Elle dit s’amuser à comprendre les goûts des uns et des autres et à trouver un équilibre entre les différentes contraintes. « C’est comme un puzzle. Ça fait du bien de refaire quelque chose. A un moment je n’arrivais même plus à lire », explique cette ancienne doctorante. Ayant cumulé et assumé simultanément de nombreux stress pendant plusieurs années – études exigeantes, jobs alimentaires à responsabilités, maternité, séparation, précarité, puis accident –, son corps et sa tête ont fini par dire stop en même temps.

    « Capable de faire des choses »

    Comme Emilie, Nathalie est ultra-qualifiée : juriste fiscaliste dans la même banque privée pendant vingt ans, cette dernière est tombée malade physiquement et psychologiquement à la suite d’un grave conflit avec son employeur. « Ici il y a une autre énergie, beaucoup plus positive. Je prends du recul sur cet accident de la vie grâce à cet environnement bienveillant. Je focalise plus sur le futur que sur le passé. Au début je n’osais même plus sortir de chez moi. Cette mesure me prouve que je suis capable de faire des choses. Cela m’a donné envie de chercher des pistes pour exercer mes compétences passées dans d’autres domaines, par exemple le droit d’auteur. » Elle assure qu’elle n’aura aucun problème à mettre Artraction dans son CV : « J’en suis fière. C’est une réelle expérience professionnelle ! »

    Fierté des artistes

    Et les artistes, qu’en pensent-ils ? Pour Zdenka Palkovic par exemple, la fierté est aussi de mise. Présente avec d’autres artistes à Lausanne lors du vernissage de l’exposition « Art déconfiné », elle confie : « J’ai été flattée quand Artraction a montré de l’intérêt pour mon travail. Je pense que tous les artistes peuvent les remercier car il n’y a pas beaucoup d’organismes qui veulent promouvoir les artistes locaux. J’admire aussi le travail qu’ils font pour la réinsertion professionnelle. »

    Art, vente et bienveillance : la mesure Artraction fait rimer plaisir esthétique, pratique économique et action thérapeutique. Oscar Wilde disait que « la beauté est dans les yeux de celui qui regarde ». Les acteurs d’Artraction perpétuent cet adage. Comme le résume Clément Dussaugey : « On est dans une époque triste et on a besoin de bonnes énergies. L’art est un bon remède. Ça fait du bien de voir un joli tableau dans un espace de travail. »

    A voir :

    • Exposition ÉCLECTISME chez Generali Assurances, 23 avenue de Perdtemps à Nyon, du 15 octobre 2020 au 16 février 2021.
    • Exposition CHIMÈRE à L’Hôpital Intercantonal de la Broye, avenue de la Colline 3 à Payerne, du 27 octobre 2020 au 25 février 2021.
    • Curation d’artistes VOÛTE CÉLESTE à L’Hôpital Intercantonal de la Broye, rue de la Rochette à Estavayer-le-Lac, du 20 octobre 2020 au 23 février 2021.

    >> Détails sur https://www.artraction.ch/ 

  • Les crèches de l’insertion développent beaucoup plus que les compétences des seuls enfants

    Les crèches de l’insertion développent beaucoup plus que les compétences des seuls enfants

    Pour certains parents, se former et trouver du travail est un défi quasi impossible à relever avec des enfants en bas âge. Visite de deux garderies à Lausanne qui permettent à des personnes vulnérables d’atteindre cet objectif. Et qui contribuent en outre à l’insertion professionnelle d’apprenti-e-s et d’auxiliaires, en proie eux aussi à des difficultés d’intégration sur le marché de l’emploi.

    IPE

    ©Insertion Vaud

    À L’IPE de Marterey : Jonas en pleine lecture – un axe fort de cette garderie lausannoise.

    « Mon fils, c’est ma force. » Pour Layla*, jeune trentenaire qui vient de commencer un nouveau travail de coordinatrice de projet dans une start-up après avoir été à l’aide sociale pendant un an, la maternité a cependant aussi représenté un obstacle. De retour de l’étranger après un divorce, sans ressources financières et n’ayant pas achevé sa formation professionnelle initiale, elle décrit comme une « chance magnifique » d’avoir pu suivre la mesure Coaching+ Parents de l’OSEO Vaud, destinée à des familles monoparentales bénéficiaires du revenu d’insertion (RI). En plus d’un programme complet de développement personnel et d’aide à la recherche d’emploi, la mesure lui a permis d’inscrire son petit Noah*, alors âgé de 3 ans, à l’IPE (institution pour l’enfance) de Marterey, un service du Centre vaudois d’aide à la jeunesse (CVAJ) subventionné par la Ville de Lausanne et le Canton de Vaud.

    « L’IPE a servi de pont dans ma vie », témoigne Layla. « Les gens qui y travaillent sont incroyables, chaleureux et sincères. La directrice veut vraiment aider, c’est aussi grâce à elle que nous avons trouvé une place dans le parascolaire pour la rentrée. Les adieux ont été forts en émotion entre l’équipe éducative et moi », raconte cette maman, Suissesse et quadrilingue, à la fois voilée et en jeans, chez qui le mot « équilibre » revient sans cesse dans le discours. Avec Noah maintenant à l’école et un job à 50% dans un secteur d’activité – la santé et le sport – qui lui correspond totalement, la métamorphose est achevée. « Si vous m’aviez vue il y a un an… », sourit la jeune femme. « Mais en étant positive, j’ai vu que tout se mettait en place. Le positif attire le positif. On a de la chance ici, il y a de bonnes aides. »

    Mixité sociale et culturelle

    L’IPE de Marterey rayonne de ces bonnes vibrations. Nichée dans une rue plutôt bobo du centre de Lausanne, elle permet d’accueillir 41 bambins par jour (environ 70 en tout), âgés entre 4 mois et 4 ans, dont près de la moitié proviennent de familles du quartier, 7 places étant par ailleurs réservées aux employé-e-s de deux entreprises voisines, et 15 à des parents bénéficiaires de mesures d’insertion. Cette mixité sociale et culturelle est vue comme une vraie richesse par l’équipe éducative, elle-même constituée de profils de différentes nationalités, aux cursus professionnels variés. Layla aussi aimait bien « le côté multiculturel de l’IPE », mais dit qu’on « voit bien cependant les différences de niveau social entre les familles ».

    Les parents « non RI » semblent s’accommoder volontiers de cette mixité. « Je ne retiens ou ne force personne à accepter une place dans ce contexte. En fait, les parents du quartier ou des entreprises ont surtout peur du turnover », affirme de sa voix douce la directrice, Claire-Lise Paccaud. Car les enfants des parents à l’aide sociale ne restent que le temps de la mesure. En amont cependant, la souplesse est de mise : « Nous prenons le temps de créer un espace de confiance, explique la directrice. Pour la phase d’adaptation des enfants RI, nous avons toujours trouvé un accord avec les assistants sociaux. » Ici, le maître-mot est « le lien, plus que les règles et la routine, poursuit la directrice. Nous sommes un tremplin vers d’autres structures et faisons attention avant tout aux besoins des familles. Pour cela, nous avons déconstruit beaucoup de pratiques, comme par exemples des horaires trop stricts ou des intégrations dans un délai standardisé. »

    Intégration de l’enfant, insertion du parent…

    Ce jour-là, un petit garçon de deux ans fait avec sa maman sa deuxième visite. Le lendemain, il est prévu qu’elle s’absente un quart d’heure. La jeune mère commencera une mesure d’insertion en novembre. D’abord collé à elle et concentré sur un jeu de plots à insérer dans une petite maison, il tend néanmoins une oreille vers l’histoire qu’une des éducatrices est en train de lire à un enfant – la lecture étant un axe fort de l’IPE. Le récit de « La chenille qui fait des trous » attire très vite trois autres bambins. Alors le petit garçon se mêle discrètement au groupe et, quelques minutes plus tard, les voilà qui s’emparent ensemble d’un mini-établi où ils enfoncent de gros clous rouges. « Il s’adapte vite quand il y a des enfants », déclare fièrement la maman, tout attendrie. Son projet à elle, c’est de chercher un apprentissage d’assistante socio-éducative (ASE). Elle avait déjà fait deux stages dans ce sens avant d’avoir son fils.

    … Et insertion du personnel

    C’est le même objectif, atteint en ce qui la concerne, qui a poussé Yasmine à postuler à l’IPE. Apprentie en première année et âgée de 22 ans, la jeune femme, à la double origine congolaise et angolaise mais naturalisée suisse, surprend déjà ses collègues par son côté « sécure avec les enfants ». Aînée d’une grande fratrie, elle raconte s’être occupée des cadets dès l’âge de sept ans, puis avoir enchaîné les expériences – dans un centre de loisirs pour un job d’adolescente, puis comme fille au pair et enfin stagiaire longue durée dans autre une garderie, où il y avait quatre pré-apprenties pour une seule place d’apprentissage en vue. Elle explique aussi avoir enchaîné les mesures d’insertion pour trouver cette place à l’IPE : « Je n’y croyais plus après quatre ans », soupire-t-elle, avant de lancer, dans un grand sourire : « Ici je suis contente, il y a une bonne ambiance et l’équipe est très soudée. Je ne me suis pas sentie rejetée. Dans l’autre crèche il y avait deux clans, j’étais mal à l’aise. »

    La directrice de l’IPE se réjouit d’avoir déjà formé trois autres jeunes issues de l’OSEO, toutes suivies par la mesure AccEnt du CVAJ pendant leur apprentissage pour les aspects sociaux et scolaires, « ce qui nous décharge beaucoup », assure Claire-Lise Paccaud. Une jeune Irakienne est actuellement en troisième année de CFC avec maturité intégrée et rêve d’entrer ensuite à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL). Il y a aussi une auxiliaire à 30% en CDI qui vise une validation des acquis de l’expérience (VAE) pour obtenir son CFC. « Inconsciemment peut-être, les responsables de crèches choisissent souvent des profils plus classiques », remarque la directrice, bien décidée à appliquer avec son équipe les mêmes valeurs qui guident son action envers les familles.

    Insertion par la langue

    Cette volonté de lutter contre toute forme de discrimination est également patente dans une autre structure, dotée de moins de moyens, où les usagers et les membres de l’équipe vivent des situations encore plus précaires : nous sommes à la route de Chavannes, dans la petite garderie « Arc-en-ciel » que l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) a mis sur pied au deuxième étage de son centre de formation. Afin de permettre aux parents, en priorité des familles monoparentales, de suivre les cours de français indispensables à leur intégration, cette crèche peut accueillir dix enfants à la fois à raison de trois demi-journées chacun par semaine, portant la capacité totale à 30 petits âgés de 1 à 4 ans. « Vu la taille de la structure, il faut au moins qu’ils sachent marcher », présente Céline Christen, la responsable. L’espace ne permet pas d’organiser des siestes et des repas comme à l’IPE, mais pour le reste l’esprit d’ouverture est le même, avec une ambition encore plus forte d’aider les éducateurs en formation à s’insérer sur le marché du travail.

    L’équipe est ainsi composée de cinq auxiliaires, dont un homme, tous migrants assistés par l’EVAM et à qui ce programme d’occupation (PO) permet d’obtenir un complément financier de 300 francs par mois en plus d’une demi-journée de cours par semaine pour acquérir le vocabulaire et les compétences métier. Une jeune Ethiopienne en préapprentissage complète l’équipe depuis peu. Avant elle, une autre migrante, soudanaise, a obtenu son CFC en août dernier et cherche maintenant un emploi fixe, mais le fait qu’elle soit voilée ne facilite pas ses recherches. Pour l’instant l’EVAM l’emploie en CDD dans la seconde garderie de l’établissement, située au foyer de Crissier.

    Intégration à deux vitesses

    Suma aussi est voilée, et le chemin de l’intégration a été long pour cette Afghane de 46 ans. Après une année dans le PO garderie, où elle a également bénéficié du soutien d’un conseiller en emploi, elle va bientôt commencer un deuxième stage dans une unité d’accueil pour écoliers (UAPE) du canton. Arrivée en Suisse il y a onze ans, elle est toujours titulaire d’une simple admission provisoire (permis F) alors que ses deux aînés, âgés de 26 et 21 ans, ont jusque-là brillamment réussi. Le fils, disposant d’un permis B, travaille chez Bobst où il a effectué son apprentissage d’automaticien. La fille, qui a obtenu la nationalité suisse, possède une maturité gymnasiale et s’apprête à commencer l’EPFL après un an d’études à l’Ecole de la Source. Le petit dernier est né en Suisse et suit encore l’école obligatoire.

    Dans les bras de Suma, une petite Africaine anglophone empile des anneaux. C’est sa troisième demi-journée. Au début elle a pleuré, mais sa maman a dû filer au cours de français sans trop s’attarder. Les périodes d’adaptation ne sont pas toujours possibles à mettre en œuvre pour diverses raisons liées à la situation des parents ou aux difficultés de compréhension. Là, l’enfant est toute tranquille et souriante, applaudissant à chacun de ses propres succès, encouragée par l’auxiliaire. Pour communiquer, les compétences linguistiques des uns et des autres sont mises à profit, mais également d’autres méthodes comme le langage des signes ou des cartes illustrées développées par l’association Camarada. « Nous demandons aussi aux parents quelques mots-clés utiles », précise la responsable.

    Une tresse à trois brins

    Pour certains parents, il est très difficile de laisser leur enfant pour la première fois à une tierce personne, relève aussi Céline Christen : « Ils ont souvent des peurs liées à la séparation, craignent que l’enfant ne soit pas en sécurité ou souffre de manques. Ils ne voient pas non plus tout de suite ce que la crèche apporte aux enfants en termes de compétences langagières, motrices et sociales. Mais après quelques mois, ils constatent les progrès. C’est magique de voir l’évolution de ces enfants, entre le début et la fin, quand ils repartent avec des copains et un bagage de quelques mots, prêts à intégrer d’autres structures. »

    Car telle est l’ambition de l’EVAM. Dans le cadre du nouvel Agenda Intégration Suisse, l’établissement a obtenu des moyens financiers permettant que des assistants sociaux dédiés recherchent des places en structures collectives, afin que chaque enfant migrant d’âge préscolaire arrive à 4 ans avec des notions de français et le savoir-être attendu. Sont principalement visées les haltes-jeux et les maisons vertes, ainsi que quelques garderies partenaires.

    En tout début de chaîne, l’intégration commence ainsi dès le plus jeune âge. C’est ce qu’on appelle un réel investissement social. Les mesures pour les parents et la formation des éducateurs constituent les deux autres brins de cette jolie tresse d’insertion.

    L’idée commence même à faire son chemin hors de la capitale vaudoise : à Aigle, la Fondation Trait d’Union Proactif a ouvert en début d’année une halte-jeu pour les enfants de participants allophones au RI inscrits aux cours de français, avec neuf places dès l’âge de 2 ans et demi. Pour l’instant la prestation est encore peu utilisée. Peut-être n’est-elle pas encore assez connue ?

    (*) Prénom fictif

    Crèche

    L’entrée de la garderie de l’EVAM : un arc-en-ciel de prénoms d’origines diverses

  • Connect’Emploi, un nouveau moyen de mettre en relations candidats et employeurs

    Connect’Emploi, un nouveau moyen de mettre en relations candidats et employeurs

    L’association Motiv’Emploi a organisé pendant l’été 2020 trois matinées de job dating réunissant en tout une quinzaine d’entreprises et une centaine de demandeurs d’emploi, en collaboration avec l’Association de la Région Cossonay-Aubonne-Morges (ARCAM). Une manière de réseauter appréciée tant par les recruteurs que par les candidats, et que Motiv’Emploi serait enchanté de partager avec d’autres organismes prestataires de l’insertion pour de futures dates à travers le canton de Vaud.

    Connect'Emploi

    De gauche à droite : Oscar Cherbuin (ARCAM), avec Aline Kaminski, Charlotte Malka, Philippe Lefeuvre et Jean-Marc Narr (Motiv’Emploi). Photo de Marie-Lys Perrier-Bizeau (ARCAM). 

    Pas de vacances pour les demandeurs d’emploi. Ils étaient une trentaine à attendre sous le soleil, le jeudi 23 juillet 2020 à Cossonay, pour tenter de décrocher un des 38 postes offerts par les entreprises présentes, ou tout simplement pour se présenter en tant que candidats libres auprès des deux agences de placement partenaires de l’événement. Après Morges et Aubonne, c’était la troisième édition en quelques semaines de Connect’Emploi, une initiative de l’association Motiv’Emploi menée en collaboration avec l’ARCAM. Cette dernière, au service du développement économique de la région, a alerté tout son réseau d’entreprises afin que l’offre de places de travail soit au rendez-vous.

    « Ce que nous apportons de plus, comparé à d’autres systèmes de job dating, c’est le briefing en amont et le check-out en aval avec chaque participant », explique Jean-Marc Narr, fondateur et responsable opérationnel de Motiv’Emploi. Sa collègue Charlotte Malka, formatrice chargée de préparer les candidats à l’entretien, souligne « le plaisir du face à face ». Elle conseille aux participants de laisser leur CV de côté et de chercher à se connecter à la personne qui recrute. « Servez sur un plateau ce pour quoi vous êtes fort et pourquoi vous êtes intéressés par cette entreprise ! » L’autre avantage du système, selon elle, c’est que « certaines personnes viennent pour un poste et finalement ont un contact supplémentaire avec un autre employeur ».

    L’ancrage local, une force

    Pour le directeur de l’ARCAM, Oscar Cherbuin, c’est l’ancrage local qui fait la force de ce type de rencontre. « Avec la crise du Covid, nous nous sommes dit que ce serait bien de favoriser l’emploi des gens de chez nous. Nous connaissons les entreprises, et même certains candidats. Cela leur donne du courage d’avoir un entretien. Car quand une annonce paraît, il y a beaucoup de postulations. Mais aussi beaucoup de frustration pour ceux qui ne sont jamais convoqués. »

    Le public, lui, est très varié. Entre la jeune femme en emploi dans une grande enseigne qui cherche un nouveau poste dans la décoration plus en adéquation avec ses qualifications, et le senior proche de la retraite, ancien commerçant indépendant qui souhaiterait trouver quelques heures pour compléter ses revenus, une foule de profils différents sont venus tenter leur chance.

    Il y a des personnes au chômage, comme cet informaticien de 35 ans dont le dernier CDD s’est terminé en octobre et que le confinement n’a pas aidé à rebondir, et des personnes à l’aide sociale, comme ce cinquantenaire au RI (revenu d’insertion) « depuis des lustres » qui dit saisir chaque opportunité possible pour réseauter. Un autre, plus jeune mais dans la même situation, repart avec des cartes de visite, qu’il juge « utiles car sinon, quand on appelle, on est bloqué à la réception ».

    Informel et utile

    L’ambiance est détendue et les contacts se nouent rapidement. Certains connaissaient Motiv’Emploi pour avoir suivi certains de leurs ateliers, d’autres ont découvert l’association à l’occasion de l’une des matinées similaires tenues à Morges ou Aubonne, et tutoient déjà les membres de l’équipe organisatrice. « Ici c’est moins formel que dans un recrutement ordinaire », décrit un dessinateur en bâtiment venu pour la deuxième fois afin de montrer sa motivation à l’une des boîtes de placement, et qui aura finalement un entretien supplémentaire avec les deux représentantes d’Orllati.

    Marion Wegmann, adjointe RH chez le constructeur, lui a donné des tuyaux sur d’autres entreprises du bâtiment qui pourraient correspondre à son parcours. Parmi les candidats du jour pour les postes réellement mis au concours, elle a par ailleurs repéré une personne dont le profil lui a plu et garde son dossier pour la revoir. Elle estime que « les parcours atypiques peuvent être tout à fait intéressants ». Sa collègue Véronique Chaignat, responsable de la communication, trouve que « certaines personnes se vendent mieux en vrai que sur papier. Elles ont le courage de se mettre en danger. » Les deux collaboratrices d’Orllati, venues pour « recruter mais aussi pour aider », semblent enchantées de la matinée.

    Même satisfaction du côté des candidats. Venu « sans apriori », un jeune homme au RI, très critique envers les nombreuses mesures d’insertion qu’il a déjà suivies, repart satisfait : « Les recruteurs m’ont donné des conseils utiles, comme de continuer à prendre des emplois temporaires et accumuler des points formation. Je vais mieux me préparer pour les prochaines fois ! »

    Un concept à suivre

    Pari gagné pour les organisateurs, qui affirment que quelques contacts ont débouché sur des engagements concrets lors de cette phase pilote, et soulignent que les entreprises sont prêtes à revenir pour de futures éditions. Selon Jean-Marc Narr, un objectif serait d’ouvrir ces événements aux candidats d’autres organismes d’insertion. Son initiative n’est en tout cas pas passée inaperçue chez la faîtière Insertion Suisse, qui l’a invité à venir présenter le concept lors d’une prochaine formation sur les réseaux d’entreprises, à Lausanne le 8 octobre 2020.

    >> Liste des postes offerts et des entreprises présentes