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Reportage

Ex-SDF, il témoigne : « Il y a toujours quelque chose à tirer de toute situation »

Ayant retrouvé un emploi qu’il adore à tout juste 50 ans, après six années de galère sans domicile fixe et deux ans d’aide sociale, un bénéficiaire du programme InPlus d’Insertion Vaud a accepté de partager son expérience pour montrer qu’il est possible de s’en sortir avec une attitude positive et quelques coups de pouce.

©iStock

Il restera anonyme. Jean-René (prénom fictif) est bien réel mais ne tient pas « à faire étalage de [sa] personne ». Pendant six ans, il a vécu sans domicile fixe, dormant parfois à la belle étoile, parfois dans des caves d’immeuble, et par moments chez des amis ou des connaissances, en échange de divers services et travaux de bricolage. Mais pendant tout ce temps, personne n’était au courant de sa situation. « Je me suis toujours débrouillé pour que ça ne se remarque pas. J’étais mal à l’aise de demander de l’aide. »

Invité à raconter son histoire, il commence par dire pudiquement qu’il a eu beaucoup de chance. Le négatif est toujours minimisé, édulcoré. L’auto-apitoiement ne fait pas partie de son registre. Aujourd’hui de retour dans la vie professionnelle, la même discrétion l’accompagne face à ses nouveaux collègues. Personne ne se douterait d’une telle trajectoire, commencée de la manière la plus ordinaire qui soit mais qui l’a parfois amené à faire les poubelles.

Cela, pourtant, il ne le raconte pas tout de suite. Il préfère insister sur le fait qu’il n’a « jamais tendu la main dans la rue, jamais volé, jamais resquillé ». « Le seul argent que j’avais, c’était les pièces que je trouvais en faisant le tour des caddies de supermarché. En achetant un paquet de pâtes à un franc et un bocal de sauce à un franc, avec ça je faisais la semaine si je trouvais un endroit pour les cuire. »

La dégringolade

Mais comment se retrouve-t-on à la rue, à passé 40 ans, quand on est comme lui intelligent, bien formé et bien intégré, après avoir occupé des postes exigeants dans de grandes entreprises ? « Ce qui m’a amené à dégringoler, c’est une baisse de salaire assez brutale et mon manque de réaction face à ça. Evidemment, les charges restent les mêmes, et comme pour beaucoup de monde, ce sont les impôts qui ont été le déclencheur. »

A cette époque, en manque de motivation dans un poste commercial, son salaire chute de 30% et plutôt que d’en informer l’administration fiscale, il laisse couler, ne remplit pas sa déclaration et se découvre taxé d’office. Quand les poursuites le rattrapent, il n’a le droit de conserver que le minimum vital et se retrouve incapable de payer le loyer de son appartement, dont il sera expulsé en 2012. Peu après, il perd également son travail.

« Sans domicile, comment retrouver du boulot ?  Et très vite, l’obsession première, c’est le quotidien : où est-ce que je vais dormir, qu’est-ce que je vais manger ? J’étais un champion du Tetris : j’avais un petit sac à dos avec tout dedans. Mon obsession, c’était qu’on ne voie pas que je suis à la rue. Je n’avais plus d’assurance maladie, plus rien. J’étais un OVNI ».

Coup de pied aux fesses

Il lui faudra des années pour remonter la pente. Jusqu’au jour où il commence à avouer sa réelle situation à son entourage. « J’avais coupé tout contact avec ceux d’avant, mais pas perdu toute vie sociale, notamment certains amis rencontrés au fil du temps. Une d’entre eux m’a mis un coup de pied aux fesses et m’a conduit dans sa commune pour m’inscrire au social. » A partir de là, dit-il, il n’a rencontré « que des gens supers ».

On est alors début 2019. L’assistant social commence par se préoccuper de son problème de logement et lui trouve une solution provisoire dans une chambre d’hôtel, puis l’inscrit dans une mesure d’insertion destinée à l’aider dans sa recherche d’appartement. Jean-René, de son côté, contacte l’administration fiscale et affronte ses erreurs passées. « Ils ont été vraiment-vraiment sympas. Même une administration qui a l’air aussi sèche et rigoureuse que les impôts, ce sont aussi des êtres humains. La négligence se paie cher, mais si on arrive humblement en reconnaissant ses bêtises, le dialogue est possible. »

Mal à l’aise de « profiter »

Sa recherche d’appartement ne donnant rien dans l’immédiat, il demande à suivre une mesure axée sur la recherche d’emploi tout en continuant à déposer des dossiers de candidature auprès des gérances. « Je me sentais très mal à l’aise dans cette situation, surtout quand on voit des gens qui triment pour un tout petit salaire. Pour moi c’était urgent de sortir du social car je me sentais comme un profiteur. »

Cette nouvelle mesure lui permet de refaire son CV et d’effectuer les démarches pour récupérer ses anciens certificats de travail, mais il tourne très vite en rond : « N’ayant aucun problème de français ou d’informatique, je n’avais pas besoin du même encadrement que d’autres bénéficiaires. Par contre, je n’avais aucun projet professionnel concret à ce stade. J’étais ouvert à tout, mais sans idée particulière. »

Son assistant social lui parle alors de la mesure InPlus, qui vient de démarrer chez Insertion Vaud. En janvier 2020, il rencontre ainsi Ilaria Eddih-Meschiari, chargée de ce projet mandaté par la Direction de l’insertion et des solidarités de l’Etat de Vaud. L’objectif est d’accompagner des personnes cinquantenaires ou presque, bénéficiaires de l’aide sociale, dans la construction d’un projet de réinsertion, en collaboration avec des organismes prestataires de l’insertion membres de l’association faîtière.

Se remettre en mouvement

Ilaria ? « Une personne pétillante, pleine d’énergie, positive, à l’écoute, qui sait comment mettre les gens en mouvement », décrit Jean-René. Même avec la pandémie de coronavirus, une fois le semi-confinement imposé en mars 2020, le contact a été maintenu par téléphone et visioconférence. Puis, en été, Ilaria l’envoie chez Connexion-Ressources, une entité de la coopérative Démarche, dans l’idée de permettre à Jean-René de faire des stages.

Et là, le miracle des réseaux sociaux fait son œuvre. Quelques lignes sur LinkedIn postées par un conseiller en insertion aux contacts étendus attirent le regard de quelques responsables des ressources humaines. Jean-René y est brièvement décrit avec ses compétences et domaines d’activités passés. Sa maîtrise des langues et son expérience du contact clientèle font mouche. Quelques semaines et deux entretiens plus tard, il est engagé comme collaborateur d’assistance informatique par une grosse organisation présente dans toute la Suisse et dont le siège se trouve dans un canton alémanique.

L’informatique ? Il n’y avait même pas pensé, car il n’en a pas la formation. « Je m’y connais un peu et je m’y suis toujours intéressé, comme à beaucoup d’autres choses. Ma curiosité m’aide un peu et j’ai toujours aimé me documenter, alors j’ai un peu de facilité…  », dit-il modestement.

Des compétences insoupçonnées

« Ce que j’aimais dans le commercial, c’était de dépanner le client. C’est exactement ce que je fais maintenant dans l’informatique. Au début je ne me rendais pas compte que j’avais ces compétences. Quand vous ramassez les pièces dans les caddies, vous ne faites pas preuve de génie, juste un peu d’astuce. Vous avez tendance à vous dévaluer un peu. Cela m’a beaucoup aidé d’avoir Ilaria et les autres, qui m’ont apporté quelque chose d’extraordinaire. Sans eux, jamais je ne serais arrivé là où j’en suis aujourd’hui. »

Aujourd’hui, Jean-René se déclare « heureux comme un pape » : « Ce job allie tout ce que j’aime. J’ai une indépendance totale, je n’ai plus de pression commerciale, j’aide les gens et je me challenge le cerveau. » De plus, il a atteint son objectif : « Je m’étais fixé comme but de me remettre sur les rails à 50 ans, et même mon assistant social n’y croyait pas trop. » Autres motifs de réjouissance, il a fini par trouver un appartement et s’est même acheté une voiture.

Ce qu’il aimerait faire passer comme message, « c’est qu’il est possible de s’en sortir quand on le veut vraiment. Il faut rester positif, car il y a toujours quelque chose à tirer de toute situation. Beaucoup de gens pensent que les choses leur sont dues… » Lui en tout cas assure qu’il aurait été prêt à faire n’importe quoi. Il a fini par faire beaucoup mieux.

 

>> Le programme InPlus est pérennisé. Voir notre article sur Coaching-Services, membre d'Insertion Vaud ayant été mandaté pour un suivi dans le cadre de ce programme 

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