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Reportage
« Tout travail sera mieux que le revenu d’insertion ! »
Un nouveau programme au catalogue des mesures d’insertion dans le canton de Vaud tente de placer des seniors au bénéfice de l’aide sociale dans des missions temporaires ou fixes auprès d’entreprises. Celles-ci profitent ainsi d’un encouragement financier de l’Etat tout en recrutant du personnel expérimenté. Quel est le profil de ces cinquantenaires, et comment cela fonctionne-t-il ? Le point sur Pro-Interim, une mesure proposée par l’OSEO Vaud et la Coopérative Démarche.
A 54 ans, Luisa* a une jolie carrière professionnelle derrière elle. En Suisse depuis plus de trente années, cette Espagnole d’origine a été successivement opératrice de saisie dans le milieu bancaire, assistante de laboratoire puis assistante logistique, avant de travailler pendant quinze ans comme acheteuse opérationnelle pour un grand groupe de télécommunications. Ce fut son dernier poste. Licenciée en 2016, elle a maintenant épuisé ses droits aux indemnités chômage.
Luisa n’avait donc plus que l’aide sociale pour subvenir à ses besoins et ceux de sa fille. Mais depuis le 18 mars 2019, Luisa a commencé une mission en CDD de six mois pour une entreprise industrielle basée à Bussigny. Un poste qu’elle a pu décrocher grâce à trois ressources-clés : sa bonne connaissance du logiciel SAP, le tuyau d’une ancienne collègue et l’existence de la mesure Pro-Interim, qui lui a offert le soutien d’une job coach et permet à son nouvel employeur de faire des économies substantielles.
« Quand on touche le RI (revenu d’insertion, ndlr), le problème n’est pas seulement économique. C’est aussi la personne que l’on devient. On a peur de perdre ses compétences. On n’ose plus contacter ses amis. Le seul endroit où on m’a demandé comment je vais aujourd’hui, c’est ici », témoignait Luisa dans les bureaux de l’OSEO Vaud à Lausanne, quelques jours avant d’avoir la confirmation de son nouveau poste.
La double peine des 50+
Chaque mois, une centaine de nouvelles demandes de prestations RI sont sollicitées par des personnes de plus de 50 ans dans le canton de Vaud. Et parmi les bénéficiaires qui participent à une mesure d’insertion socioprofessionnelle, on constate que les seniors ont nettement plus de peine que les jeunes à réintégrer le marché du travail.
« Certains participants ont fait beaucoup de mesures. Ils finissent par se lasser et n’y croient plus. Ils souffrent d’isolement et d’ennui », explique Christina Bel Glauser, la job coach de Luisa chez OSEO Vaud, l’un des deux organismes prestataires de la mesure Pro-Interim avec la Coopérative Démarche.
Chez Démarche, Marie André, adjointe du responsable de la structure Connexion-Ressources, constate que les seniors à l’aide sociale sont vus comme « technologiquement défaillants » : « C’est dur de rester à la page quand on a quitté le circuit, alors nous essayons de travailler sur la personnalité, sur une rencontre entre le ou la candidat·e avec un employeur, de responsabiliser les entreprises. Notre message, c’est que ces employés-là seront bien plus fidèles que des jeunes. »
Marie André a ainsi accompagné Birgit*, elle aussi âgée de 54 ans, vers un emploi d’assistante de direction dans une banque privée genevoise. « Beaucoup de gens ont été mis à pied comme moi dans le domaine bancaire », évoque cette Suisse allemande au français parfait. « Et les employeurs ont peur des candidats qui ne sont pas en activité », observe-t-elle. Avec sa coach, Birgit a beaucoup travaillé sur son savoir-être et appris à être plus synthétique dans la manière de présenter son parcours, retrouvant peu à peu confiance en elle après trois années sans emploi. C’est donc peu dire qu’elle était aux anges quand elle a finalement décroché ce nouveau poste, qui plus est en CDI !
La sécurité plutôt que le salaire
Une issue encourageante pour les autres participants à la mesure Pro-Interim comme Nader*, un conseiller en investissements de 53 ans, suisse et quadrilingue, revenu au pays après une dizaine d’années au Moyen-Orient, où il était parti en retirant son 2e pilier. « J’ai frappé à toutes les portes, envoyé des centaines de CV, mais sans vraiment décrocher de rendez-vous, seulement des réponses diplomatiques », raconte ce père de quatre enfants, prêt à accepter n’importe quelle proposition, même un stage pour prouver sa motivation et un salaire inférieur au prix du marché pour pouvoir sortir de l’aide sociale. « Je préfère la sécurité au salaire ! », assure Nader.
Selon le canton de Vaud, le programme est un succès puisqu’il réussit à accompagner environ la moitié des participants de Pro-Interim vers un emploi. « Les missions temporaires permettent de reprendre pied sur le marché du travail et encouragent les employeurs à tester ces candidats », explique un des chefs de projets du Pôle insertion professionnelle à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
Avantages matériels pour les employeurs
L’Etat continuera donc à soutenir ce projet et pourrait augmenter le nombre de bénéficiaires, affirme le chef de projets. Pour un remplacement de congé maternité, militaire ou maladie de longue durée, par exemple, les employeurs qui engagent une personne via Pro-Interim peuvent bénéficier d’un mois de salaire gratuit et de la compensation des éventuelles différences de salaire et de charges sociales dues à l’âge. Si un CDI est proposé par l’employeur, ces conditions peuvent même s’avérer encore plus avantageuses : dans le cadre du programme cantonal FORMAD, l’Etat peut prendre à sa charge 80% du salaire sur 3 mois.
Et surtout, les employeurs feront ainsi acte d’une véritable responsabilité sociétale d’entreprise en redonnant une chance à des personnes en grande difficulté. « Personne n’est à l’abri, et la dégringolade peut aller très vite », rappelle la job coach de l’OSEO. « Tout travail sera mieux que le RI ! », jure quant à elle Luisa.
(* prénom d’emprunt)