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Au cœur du recrutement, le CV fait sa mue

Lors d’un processus de recrutement, le curriculum vitae est encore largement utilisé, notamment pour présélectionner les candidat·e·s avant les entretiens. Des initiatives tentent de le faire disparaître, notamment pour gommer les a priori négatifs, ou alors de le transformer.

Ce début d’année, l’assureur Concordia s’est mis à la recherche de conseiller·ère·s en assurance. Dans un contexte où il est de plus en plus difficile de trouver du personnel qualifié sur le marché du travail, l’employeur s’est alors lancé dans un recrutement différent, sans connaître les CV des candidat·e·s. “Pour ce poste, la personnalité et les soft skills sont très importants, relate Laetitia Dupré, spécialiste recrutement. Et chez Concordia, nous essayons d’embaucher une personne et pas un CV. Nous essayons de voir au-delà. Toutefois, lorsque nous recevons une centaine de candidatures, il est difficile d’appliquer cela. Donc si certains CV ne sont pas bien faits, s’il manque des éléments, ou encore si la mise en page n’est pas attrayante, il est possible que des candidats ne soient pas contactés.”

Concordia a donc fait appel à une agence de placement qui a effectué une présélection sur la base de deux ou trois critères transmis par l’assureur. “Nous avons ensuite rencontré les candidat·e·s sous forme de speed recruiting, environ 8 à 10 minutes d’entretien sans avoir de CV sous les yeux. Cela nous a permis de voir des profils que les RH auraient pu refuser sur la base de ces documents.”

Moins de CV, plus d’égalité

Ce type de démarche innovante ne surprend pas Stéphane Gigon. Il est le directeur d’Humanys Solutions, une société spécialisée dans le coaching et l'accompagnement de personnes en transition de carrière. “On sent clairement une évolution dans le marché du travail, avec la grande démission aux Etats-Unis, le fait que 500’000 personnes partiront en retraite en Suisse en 2030, ou encore le fait que le marché a enregistré le plus gros taux d’absentéisme au premier trimestre de cette année, note-t-il. Il y a énormément de burn-out liés à un stress chronique, à de l’épuisement, mais aussi de plus en plus une quête de sens. Dans ce contexte, les employeurs doivent réagir.”

Recruter sans CV serait donc aussi une manière de donner une image positive de la personne qui recrute. “C’est gagnant-gagnant pour l’entreprise et le candidat”, ajoute Laetitia Dupré, parce que l’entreprise peut aussi montrer d’elle une image moderne, progressiste, ce qui permet d’attirer aussi les bons profils.” De son côté, le ou la candidat·e qui a un CV compliqué, par exemple avec de longues périodes d’inactivité, peut profiter de tels processus. “Je pense que le discours est plus authentique et plus transparent, déclare la responsable RH. Il y a finalement moins cette tentation de nous cacher des informations par peur que cela déplaise. Cela va permettre aux personnes qui ont des CV moins attractifs d’être à égalité avec les autres. Après, il faudra qu’elles puissent expliquer, justifier les éventuels “trous” ou les changements, afin de convaincre les RH. »

Quoi qu’il en soit, les CV restent des documents largement utilisés, car un recrutement comme celui de Concordia, avec l’appui d’un cabinet externe pour présélectionner des candidat·e·s, a un coût important. “Les PME n’ont pas les mêmes moyens que de grosses structures, précise Stéphane De Craecker, coach Employabilité chez InnoPark. Et, lorsqu’elles effectuent elles-mêmes le recrutement, elles travaillent encore souvent à l’ancienne, avec une réception des CV, une impression, un premier tri manuel, etc. De plus, les responsables du recrutement ont généralement peu de temps pour sélectionner les dossiers.”

Faire preuve de créativité

Les candidat·e·s aux CV compliqués doivent alors trouver d’autres moyens pour passer le 1er tour du recrutement. “Chez Humanys, nous conseillons d’avoir deux types de CV, un dynamique, pour des démarches proactives auprès de recruteurs ou de contacts, et un autre plus classique à déposer sur des plateformes. Pour ce dernier, nous conseillons d’être le plus simple possible, d’enlever toutes les fioritures. Car les CV sont de plus en plus lus et triés dans un premier temps par des algorithmes.”

Autre tendance : un CV sous forme vidéo. Avec l'essor des réseaux sociaux, voir des gens parler d’eux-mêmes face à une caméra est devenu habituel. Mais cela n’est pas forcément facile pour tout le monde. Humanys a trouvé la parade. “Il est très difficile de parler face à une caméra, souvent le résultat n’est pas satisfaisant, il faut faire beaucoup de prises, et la personne n’est pas toujours à l’aise, relate le responsable. Nous avons donc choisi une autre voie. Nous demandons aux candidat·e·s un "elevator pitch" (ndlr: un argumentaire éclair). Elles ou ils peuvent ensuite choisir deux types de vidéos : en 3D avec un avatar, ou en mode cinéma avec des images en lien avec son univers. La vidéo peut ensuite être ajoutée au CV, ou diffusée directement sur les réseaux sociaux. Les employeurs en sont friands. Cela donne une image d’un·e candidat·e en phase avec son époque, capable d’utiliser les nouvelles technologies ou les nouveaux codes visuels.”

L’audace lors d’une recherche d’emploi, reste à double tranchant, selon Stéphane De Craecker: “On peut imaginer toute sorte d’originalité. Une personne avait fait afficher son visage sur les bus en France et elle a eu beaucoup de succès. Mais je le dis à mes participant·e·s: l’originalité, c’est un risque, soit les gens vont apprécier cette approche nouvelle, soit c’est un rejet. Donc il faut mesurer cela.”

Tout un processus de recrutement en mutation

Si les candidat·e·s n’adoptent pas de nouvelles manières de se présenter, il est fort probable que ce soient les entreprises qui prennent les devants en innovant lors du recrutement. “Les nouveautés les plus déstabilisantes à l’heure actuelle sont les interviews en ligne par des ordinateurs, par des intelligences artificielles, décrit le coach d’InnoPark. On vous diffuse un texte ou une séquence vidéo et vous avez deux minutes pour répondre. De plus, il y a dorénavant des outils qui analysent visuellement la manière dont la réponse a été donnée au niveau du non verbal, et qui définit un coefficient de cohérence entre la réponse et l’attitude des candidat·e·s.”

C’est peut-être finalement le paradoxe du développement des processus de recrutement à l’heure actuelle : alors que des soft skills, des compétences plus sociales et émotionnelles, sont recherchées chez les candidat·e·s, en gommant les documents écrits et en favorisant l’entretien en présentiel, les recruteurs sont de leur côté de plus en plus remplacés par des robots. On en viendrait presque à regretter le bon vieux CV.

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