Actualité
Reportage
Le blended-learning, un mélange vitaminé pour se mettre à niveau en informatique
Dans le canton de Vaud, quatre organismes d’insertion offrent une mesure d’apprentissage de la bureautique basée sur une plateforme commune de e-learning. Mais chacun cuisine ensuite le programme à sa propre sauce. Une constante cependant : l’élément humain qui relie participants au chômage et formateurs, avec parfois des frontières très minces entre les deux statuts.
Pour ce mardi après-midi d’été, Kevin Riat, formateur au Cyberforum de Morges, a concocté un jeu de l’oie un peu particulier que les participants découvrent sur leur écran. Sur certaines cases, un hyperlien entraîne les joueurs vers une série d’exercices sur différents logiciels. C’est un moment mi-ludique, mi-studieux, où les personnes envoyées par le chômage s’entraident et se motivent en testant leurs connaissances acquises via une plateforme d’e-learning.
« Cette plateforme permet de former plus vite et de manière plus personnalisée les participants », explique Philippe Brunet, directeur d’ITTA, centre de formation et certification informatique qui a développé le cursus il y a une dizaine d’années. Depuis environ cinq ans, le Cyberforum de Morges, ProActif à Vevey et MRB Formations informatiques Sàrl à Yverdon-les-Bains utilisent également la plateforme à la demande du Service de l’emploi.
Formation mixte
Les personnes au chômage peuvent démarrer la mesure en tout temps, pour une durée moyenne de 21 jours, et avancer à leur rythme dans l’apprentissage de Word, Excel, PowerPoint et Outlook. Mais à la différence du pur e-learning, qui peut dans certains cas même se faire à distance, la plateforme s’inscrit plutôt dans une démarche de blended-learning, c’est-à-dire une formation mixte où la technologie n’est pas seule aux commandes. Ici la présence physique sur le lieu de formation est essentielle, et le rôle du formateur incontournable pour pouvoir répondre aux questions et adapter le programme aux besoins de chacun.
Philippe Brunet se souvient par exemple d’une participante qui avait une promesse d’embauche pour la fin de la semaine si elle améliorait sa maîtrise d’Excel. Défi relevé : les derniers jours de la formation ont été concentrés sur les multiples fonctionnalités du tableur, avec pour résultat une prise d’emploi dans les temps impartis.
Spécificités
Cette souplesse implique aussi que la mesure bureautique ne soit pas entièrement formatée par la plateforme. Chaque organisme a en effet ses spécificités. A Morges, l’équipe du Cyberforum aime imaginer des demi-journées interactives entre les participants pour pimenter l’apprentissage en solo. Les apprenants doivent également imaginer un projet « fil rouge » qu’ils présentent à la fin de leur formation. Francesca, une enseignante d’italien au chômage, prévoit ainsi de se lancer dans un publipostage – tâche qu’il lui serait très utile de maîtriser pour ses mailings aux parents d’élèves. D’autres profitent de leur maîtrise toute fraîche de PowerPoint pour présenter leur projet de manière plus créative.
Selon Guillaume Morel, directeur du Cyberforum de Morges, Excel est généralement la bête noire des participants, et PowerPoint le programme le moins connu. La plupart des participants n’ont jamais eu accès à des formations continues dans leur ancien emploi, remarquent les responsables interrogés dans les différents organismes. Certains chômeurs, plus rares, sont même réfractaires à suivre la mesure. Dans ce cas les formateurs imaginent volontiers des exercices en rapport avec leurs centres d’intérêt. Pour ce fan d’ULM, par exemple, il s’agira de construire un tableau qui calcule les besoins en essence de son engin volant en fonction des distances entre chaque étape. Tous les responsables ont en tête des histoires de participants venus à reculons et repartis enchantés, les taux de satisfaction flirtant avec les 90%.
« Beaucoup à apprendre »
« Beaucoup de gens sont autodidactes en informatique et s’imaginent être plus forts sur les logiciels qu’ils ne le sont réellement », souligne Béatrice Douvry, responsable des formations chez ProActif. Ce que confirme une participante : « Je pensais être plus douée, mais j’ai constaté que j’ai beaucoup à apprendre », reconnaît Anne-Lise, une jeune maman au chômage depuis trois mois, ex-responsable de service dans un hôtel. Espérant trouver un poste avec des horaires moins contraignants, elle est reconnaissante à sa conseillère ORP de l’avoir autorisée à suivre cette mesure, qui lui permettra d’enrichir son dossier en vue d’un travail plus administratif, idéalement dans un EMS.
Au début, admet Anne-Lise, la perspective de travailler en e-learning l’a un peu déçue, mais elle a vite été soulagée de découvrir que les participants et les formateurs communiquent en permanence. Chez ProActif, l’ergonomie y est pour beaucoup : abondance de plantes vertes, couleurs vives, organisation des postes de travail en îlots pour faciliter les échanges. « Je viens du monde des biens de consommation, explique Tobias Bärlocher, directeur de ProActif après une carrière dans une multinationale, alors j’ai le souci du détail. Pour moi, les formateurs et apprenants donnent le meilleur d'eux-mêmes s'ils peuvent évoluer dans un environnement agréable, sécurisant et stimulant. »
Réseautage et petits biscuits
Il en veut pour preuve les échanges qui se nouent entre les participants. « Ils amènent régulièrement des spécialités culinaires de leurs pays pour les partager », observe Tobias Bärlocher, ce que constate aussi Philippe Brunet chez IITA. « Il y a une mayonnaise extraordinaire qui se noue entre les générations », entre les seniors qui arrivent pour la première fois au chômage et découvrent le e-learning et les jeunes qui n’ont quasiment pas d’expérience professionnelle et souffrent parfois de graves lacunes dans les compétences de base. On assiste alors à du « peer-coaching », les uns expliquant tel ou tel sujet acquis à d’autres participants, raconte Philippe Brunnet. « Entre eux il y a moins la peur du jugement », analyse-t-il.
Dans chaque organisme les formateurs relèvent ainsi l’importance du réseautage qui se met en place entre les participants. Ils se passent des tuyaux et restent souvent en contact après la fin de la mesure, racontent les encadrants. « Ici c’est un cocon sécurisé, les gens pensent moins à leurs problèmes », note Kevin Riat au Cyberforum de Morges.
De chômeur à formateur
Lui-même sait de quoi il parle. Ancien gestionnaire du commerce de détail au chômage, il était au départ vendeur en informatique et a longuement insisté auprès de sa conseillère ORP pour tenter une reconversion. Après avoir obtenu gain de cause et ayant été assigné six mois comme assistant formateur chez Puissance L, le voilà formateur au Cyberforum depuis deux ans. Le directeur, Guillaume Morel, a en outre engagé son assistante administrative parmi les participants de la mesure : « Elle a vécu les choses de l’autre côté et j’ai pu observer pendant son passage chez nous ses qualités d’empathie, son sens du contact. »
Chez ITTA, deux formateurs sont également des anciens élèves de la mesure et ont été repérés dans un premier temps pour leurs compétences sociales. L’un avait une expérience de formateur, mais pas en informatique. L’autre a été engagé avec l’aide d’une allocation d’initiation au travail (AIT) et a ensuite obtenu le certificat de la Fédération suisse pour la formation continue (FSEA). A nouveau, c’est le mot « empathie » qui ressort à leur égard des propos du directeur, Philippe Brunet. « Beaucoup d’entre nous sont passés par le chômage. Nous savons donc ce que vivent nos apprenants », témoigne pour sa part Béatrice Douvry, la responsable des formations chez ProActif.
Si la frontière semble ainsi très poreuse entre participants et encadrants, il n’en va pas de même au niveau des mandants. Pour l’instant, la mesure bureautique est avant tout financée par le Service de l’emploi, et les personnes à l’aide sociale en sont pour la plupart exclues. Les organismes prestataires rêvent d’avoir accès à ces bénéficiaires en grand besoin d’insertion socioprofessionnelle, et d’assurer leur propre pérennité en diversifiant leurs revenus. « On pourrait même imaginer des partenariats transversaux entre services ou même cantons », se met à imaginer Philippe Brunet. Mais cette recette-là reste encore à expérimenter.