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Reportage

Les crèches de l’insertion développent beaucoup plus que les compétences des seuls enfants

Pour certains parents, se former et trouver du travail est un défi quasi impossible à relever avec des enfants en bas âge. Visite de deux garderies à Lausanne qui permettent à des personnes vulnérables d’atteindre cet objectif. Et qui contribuent en outre à l’insertion professionnelle d’apprenti-e-s et d’auxiliaires, en proie eux aussi à des difficultés d’intégration sur le marché de l’emploi.

©Insertion Vaud

À L'IPE de Marterey : Jonas en pleine lecture - un axe fort de cette garderie lausannoise.

« Mon fils, c’est ma force. » Pour Layla*, jeune trentenaire qui vient de commencer un nouveau travail de coordinatrice de projet dans une start-up après avoir été à l’aide sociale pendant un an, la maternité a cependant aussi représenté un obstacle. De retour de l’étranger après un divorce, sans ressources financières et n’ayant pas achevé sa formation professionnelle initiale, elle décrit comme une « chance magnifique » d’avoir pu suivre la mesure Coaching+ Parents de l’OSEO Vaud, destinée à des familles monoparentales bénéficiaires du revenu d’insertion (RI). En plus d’un programme complet de développement personnel et d’aide à la recherche d’emploi, la mesure lui a permis d’inscrire son petit Noah*, alors âgé de 3 ans, à l’IPE (institution pour l’enfance) de Marterey, un service du Centre vaudois d’aide à la jeunesse (CVAJ) subventionné par la Ville de Lausanne et le Canton de Vaud.

« L’IPE a servi de pont dans ma vie », témoigne Layla. « Les gens qui y travaillent sont incroyables, chaleureux et sincères. La directrice veut vraiment aider, c’est aussi grâce à elle que nous avons trouvé une place dans le parascolaire pour la rentrée. Les adieux ont été forts en émotion entre l’équipe éducative et moi », raconte cette maman, Suissesse et quadrilingue, à la fois voilée et en jeans, chez qui le mot « équilibre » revient sans cesse dans le discours. Avec Noah maintenant à l’école et un job à 50% dans un secteur d’activité – la santé et le sport – qui lui correspond totalement, la métamorphose est achevée. « Si vous m’aviez vue il y a un an… », sourit la jeune femme. « Mais en étant positive, j’ai vu que tout se mettait en place. Le positif attire le positif. On a de la chance ici, il y a de bonnes aides. »

Mixité sociale et culturelle

L’IPE de Marterey rayonne de ces bonnes vibrations. Nichée dans une rue plutôt bobo du centre de Lausanne, elle permet d’accueillir 41 bambins par jour (environ 70 en tout), âgés entre 4 mois et 4 ans, dont près de la moitié proviennent de familles du quartier, 7 places étant par ailleurs réservées aux employé-e-s de deux entreprises voisines, et 15 à des parents bénéficiaires de mesures d’insertion. Cette mixité sociale et culturelle est vue comme une vraie richesse par l’équipe éducative, elle-même constituée de profils de différentes nationalités, aux cursus professionnels variés. Layla aussi aimait bien « le côté multiculturel de l’IPE », mais dit qu’on « voit bien cependant les différences de niveau social entre les familles ».

Les parents « non RI » semblent s’accommoder volontiers de cette mixité. « Je ne retiens ou ne force personne à accepter une place dans ce contexte. En fait, les parents du quartier ou des entreprises ont surtout peur du turnover », affirme de sa voix douce la directrice, Claire-Lise Paccaud. Car les enfants des parents à l’aide sociale ne restent que le temps de la mesure. En amont cependant, la souplesse est de mise : « Nous prenons le temps de créer un espace de confiance, explique la directrice. Pour la phase d’adaptation des enfants RI, nous avons toujours trouvé un accord avec les assistants sociaux. » Ici, le maître-mot est « le lien, plus que les règles et la routine, poursuit la directrice. Nous sommes un tremplin vers d’autres structures et faisons attention avant tout aux besoins des familles. Pour cela, nous avons déconstruit beaucoup de pratiques, comme par exemples des horaires trop stricts ou des intégrations dans un délai standardisé. »

Intégration de l’enfant, insertion du parent…

Ce jour-là, un petit garçon de deux ans fait avec sa maman sa deuxième visite. Le lendemain, il est prévu qu’elle s’absente un quart d’heure. La jeune mère commencera une mesure d’insertion en novembre. D’abord collé à elle et concentré sur un jeu de plots à insérer dans une petite maison, il tend néanmoins une oreille vers l’histoire qu’une des éducatrices est en train de lire à un enfant – la lecture étant un axe fort de l’IPE. Le récit de « La chenille qui fait des trous » attire très vite trois autres bambins. Alors le petit garçon se mêle discrètement au groupe et, quelques minutes plus tard, les voilà qui s’emparent ensemble d’un mini-établi où ils enfoncent de gros clous rouges. « Il s’adapte vite quand il y a des enfants », déclare fièrement la maman, tout attendrie. Son projet à elle, c’est de chercher un apprentissage d’assistante socio-éducative (ASE). Elle avait déjà fait deux stages dans ce sens avant d’avoir son fils.

… Et insertion du personnel

C’est le même objectif, atteint en ce qui la concerne, qui a poussé Yasmine à postuler à l’IPE. Apprentie en première année et âgée de 22 ans, la jeune femme, à la double origine congolaise et angolaise mais naturalisée suisse, surprend déjà ses collègues par son côté « sécure avec les enfants ». Aînée d’une grande fratrie, elle raconte s’être occupée des cadets dès l’âge de sept ans, puis avoir enchaîné les expériences – dans un centre de loisirs pour un job d’adolescente, puis comme fille au pair et enfin stagiaire longue durée dans autre une garderie, où il y avait quatre pré-apprenties pour une seule place d’apprentissage en vue. Elle explique aussi avoir enchaîné les mesures d’insertion pour trouver cette place à l’IPE : « Je n’y croyais plus après quatre ans », soupire-t-elle, avant de lancer, dans un grand sourire : « Ici je suis contente, il y a une bonne ambiance et l’équipe est très soudée. Je ne me suis pas sentie rejetée. Dans l’autre crèche il y avait deux clans, j’étais mal à l’aise. »

La directrice de l’IPE se réjouit d’avoir déjà formé trois autres jeunes issues de l’OSEO, toutes suivies par la mesure AccEnt du CVAJ pendant leur apprentissage pour les aspects sociaux et scolaires, « ce qui nous décharge beaucoup », assure Claire-Lise Paccaud. Une jeune Irakienne est actuellement en troisième année de CFC avec maturité intégrée et rêve d’entrer ensuite à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL). Il y a aussi une auxiliaire à 30% en CDI qui vise une validation des acquis de l’expérience (VAE) pour obtenir son CFC. « Inconsciemment peut-être, les responsables de crèches choisissent souvent des profils plus classiques », remarque la directrice, bien décidée à appliquer avec son équipe les mêmes valeurs qui guident son action envers les familles.

Insertion par la langue

Cette volonté de lutter contre toute forme de discrimination est également patente dans une autre structure, dotée de moins de moyens, où les usagers et les membres de l’équipe vivent des situations encore plus précaires : nous sommes à la route de Chavannes, dans la petite garderie « Arc-en-ciel » que l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) a mis sur pied au deuxième étage de son centre de formation. Afin de permettre aux parents, en priorité des familles monoparentales, de suivre les cours de français indispensables à leur intégration, cette crèche peut accueillir dix enfants à la fois à raison de trois demi-journées chacun par semaine, portant la capacité totale à 30 petits âgés de 1 à 4 ans. « Vu la taille de la structure, il faut au moins qu’ils sachent marcher », présente Céline Christen, la responsable. L’espace ne permet pas d’organiser des siestes et des repas comme à l’IPE, mais pour le reste l’esprit d’ouverture est le même, avec une ambition encore plus forte d’aider les éducateurs en formation à s’insérer sur le marché du travail.

L’équipe est ainsi composée de cinq auxiliaires, dont un homme, tous migrants assistés par l’EVAM et à qui ce programme d’occupation (PO) permet d’obtenir un complément financier de 300 francs par mois en plus d’une demi-journée de cours par semaine pour acquérir le vocabulaire et les compétences métier. Une jeune Ethiopienne en préapprentissage complète l’équipe depuis peu. Avant elle, une autre migrante, soudanaise, a obtenu son CFC en août dernier et cherche maintenant un emploi fixe, mais le fait qu’elle soit voilée ne facilite pas ses recherches. Pour l’instant l’EVAM l’emploie en CDD dans la seconde garderie de l’établissement, située au foyer de Crissier.

Intégration à deux vitesses

Suma aussi est voilée, et le chemin de l’intégration a été long pour cette Afghane de 46 ans. Après une année dans le PO garderie, où elle a également bénéficié du soutien d’un conseiller en emploi, elle va bientôt commencer un deuxième stage dans une unité d’accueil pour écoliers (UAPE) du canton. Arrivée en Suisse il y a onze ans, elle est toujours titulaire d’une simple admission provisoire (permis F) alors que ses deux aînés, âgés de 26 et 21 ans, ont jusque-là brillamment réussi. Le fils, disposant d’un permis B, travaille chez Bobst où il a effectué son apprentissage d’automaticien. La fille, qui a obtenu la nationalité suisse, possède une maturité gymnasiale et s’apprête à commencer l’EPFL après un an d’études à l’Ecole de la Source. Le petit dernier est né en Suisse et suit encore l’école obligatoire.

Dans les bras de Suma, une petite Africaine anglophone empile des anneaux. C’est sa troisième demi-journée. Au début elle a pleuré, mais sa maman a dû filer au cours de français sans trop s’attarder. Les périodes d’adaptation ne sont pas toujours possibles à mettre en œuvre pour diverses raisons liées à la situation des parents ou aux difficultés de compréhension. Là, l’enfant est toute tranquille et souriante, applaudissant à chacun de ses propres succès, encouragée par l’auxiliaire. Pour communiquer, les compétences linguistiques des uns et des autres sont mises à profit, mais également d’autres méthodes comme le langage des signes ou des cartes illustrées développées par l’association Camarada. « Nous demandons aussi aux parents quelques mots-clés utiles », précise la responsable.

Une tresse à trois brins

Pour certains parents, il est très difficile de laisser leur enfant pour la première fois à une tierce personne, relève aussi Céline Christen : « Ils ont souvent des peurs liées à la séparation, craignent que l’enfant ne soit pas en sécurité ou souffre de manques. Ils ne voient pas non plus tout de suite ce que la crèche apporte aux enfants en termes de compétences langagières, motrices et sociales. Mais après quelques mois, ils constatent les progrès. C’est magique de voir l’évolution de ces enfants, entre le début et la fin, quand ils repartent avec des copains et un bagage de quelques mots, prêts à intégrer d’autres structures. »

Car telle est l’ambition de l’EVAM. Dans le cadre du nouvel Agenda Intégration Suisse, l’établissement a obtenu des moyens financiers permettant que des assistants sociaux dédiés recherchent des places en structures collectives, afin que chaque enfant migrant d’âge préscolaire arrive à 4 ans avec des notions de français et le savoir-être attendu. Sont principalement visées les haltes-jeux et les maisons vertes, ainsi que quelques garderies partenaires.

En tout début de chaîne, l’intégration commence ainsi dès le plus jeune âge. C’est ce qu’on appelle un réel investissement social. Les mesures pour les parents et la formation des éducateurs constituent les deux autres brins de cette jolie tresse d’insertion.

L’idée commence même à faire son chemin hors de la capitale vaudoise : à Aigle, la Fondation Trait d’Union Proactif a ouvert en début d’année une halte-jeu pour les enfants de participants allophones au RI inscrits aux cours de français, avec neuf places dès l’âge de 2 ans et demi. Pour l’instant la prestation est encore peu utilisée. Peut-être n’est-elle pas encore assez connue ?

(*) Prénom fictif

L'entrée de la garderie de l'EVAM : un arc-en-ciel de prénoms d'origines diverses

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