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Politique d'insertion
Cesla Amarelle détricote quelques aprioris sur la formation professionnelle
Lors d’une conférence-débat organisée le 13 janvier 2020 à Lausanne par Insertion Vaud, la cheffe du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture a annoncé une mesure importante « pour supprimer un verrou qui n’avait plus lieu d’être » concernant l’accès à l’apprentissage en deux ans (AFP). Elle a également informé que le canton allait augmenter le nombre de places en préapprentissage pour l’intégration (PAI). Devant une salle comble, les témoignages de quatre apprenti-e-s et de leurs employeurs ont fait vibrer l’auditoire. ©Insertion Vaud
« Le Canton de Vaud accuse un très sérieux retard : c’est tout simplement le canton avec le plus faible taux d’AFP de Suisse, parce que pendant longtemps - et je vous le dis en toute transparence - on a considéré cette formation comme peu attrayante, une voie de garage sans grands débouchés. Mais heureusement les temps changent. » Cesla Amarelle, conseillère d’Etat en charge du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC), n’a pas utilisé de langue de bois lors de la conférence-débat du lundi 13 janvier 2020 destinée à valoriser d’une part l’attestation de formation professionnelle (AFP) et d’autre part la prolongation d’apprentissage pour l’intégration (PAI), dont le nombre de places passera de 90 à 100 à la rentrée prochaine.
« Ces deux voies de formation sont bien connues des milieux de l’insertion comme répondant à un besoin pour des jeunes en difficulté, mais elles méritent d’être mieux connues des milieux économiques, puisqu’elles sont un moyen de recruter de futurs apprentis en voie CFC. L’expérience montre en effet qu’une fois le pied à l’étrier, une bonne partie de ces jeunes poursuivent ensuite leur qualification », avait pour sa part déclaré en introduction le président d’Insertion Vaud, Stéphane Manco, qui a remercié trois grandes associations patronales – la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), la Fédération patronale vaudoise (FPV) et la Fédération vaudoise des entrepreneurs (FVE) - d’avoir soutenu l’événement, ainsi que la Direction de l’insertion et des solidarité (DIRIS - DGCS) de l’avoir financé et la Direction générale de l’enseignement postobligatoire (DGEP) d’y avoir collaboré avec beaucoup d’enthousiasme.
La fin d’une stigmatisation
Devant près de 400 personnes présentes, avec une forte présence d’employeurs, la cheffe du DFJC a annoncé que son département renoncerait dorénavant à exiger un entretien avec un-e psychologue pour les jeunes qui souhaitent se lancer dans une AFP. « Vous imaginez bien la stigmatisation que pouvait représenter une telle étape, même si j’aime beaucoup les psychologues évidemment, mais il n’en demeure pas moins que cette manière de présenter les choses était très stigmatisante », a expliqué Mme Amarelle.
« Le temps où l’AFP n’était accessible que pour ceux qui étaient incapables de faire autre chose est révolu. Au contraire, elle s’adresse à celles et ceux qui sont capables de se mettre en projet, de gravir une première marche, avant peut-être de s’attaquer aux suivantes. C’est savoir se mettre dans une dynamique de réussite si capitale », a poursuivi la conseillère d’Etat.
Les témoignages qui ont suivi ont amplement confirmé son propos. Il y avait Stephan Bergmann, charpentier-menuisier à Suchy, et son apprenti Brhane Michael, 19 ans, en 1e année de CFC après une PAI, et Frédéric Suard, patron de l’entreprise de paysagisme Jardi-net, avec son apprenti Gebrehiwet Hagos Kahsay, 21 ans, en 2e année d’AFP et qui prévoit déjà de poursuivre en voie CFC.
Séquence émotion
« En tant que petite entreprise, on n’a aucune influence sur la politique migratoire. Mais pour Brhane, ça change tout d’avoir une bonne formation. Donc j’ai envie de dire - et ça ne fait peut-être pas très entrepreneur du 21e siècle - mais j’ai envie de dire que parfois il faut écouter son cœur », a déclaré Stephan Bergmann, récoltant une salve d’applaudissements.
Frédéric Suard a lui aussi fortement ému le public en mentionnant que « ces jeunes, que ce soit des Erythréens, des Afghans, des Syriens - il y en a beaucoup chez nous en ce moment -, ils ont fait un long voyage, ça allait mal chez eux, et je crois que c’est à nous de leur donner une chance, et je dirais même que c’est une grande chance pour la Suisse de les avoir. »
Les deux patrons ont souligné les nombreuses qualités de leur apprenti respectif, tous les deux de jeunes Erythréens arrivés en Suisse en tant que mineur non accompagné (MNA) : motivés, travailleurs, serviables, respectueux. Brhane et Gebrehiwet, dans un très bon français, ont raconté leur cheminement pour obtenir cette place d’apprentissage et leur goût pour le métier choisi.
« J’ai fait huit stages avant de trouver ma place. En Suisse ce n’est pas facile de trouver du travail ou une place d’apprentissage, mais il faut s’accrocher, il ne faut rien lâcher », a confié Brhane. Quant à Gebrehiwet, son conseil aux jeunes qui cherchent à se former est « de ne pas se décourager, parce qu’il y a des moments difficiles et stressants. Surtout, il faut qu’ils choisissent un métier qui leur plaît. C’est important de choisir un métier qu’on aime. Sinon ils risquent d’abandonner et ce serait dommage. »
La Poste, employeur modèle
Après la présentation d’une recherche sur l’AFP, menée à l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP) par la Dre Barbara Duc et ses collègues (voir en annexe), une seconde partie de témoignages a suivi et également déclenché une forte sympathie dans l’auditoire. Deux jeunes femmes formées par La Poste et deux responsables de l’entreprise se sont exprimés.
Rachel Montendon et Laetitia Vassaux, toutes deux âgées de 26 ans, ont eu des parcours de vie semés de nombreuses embuches familiales, professionnelles et de santé avant de postuler comme apprenties logisticiennes en voie AFP. La première a obtenu son CFC en juin dernier et travaille maintenant dans une entreprise privée. La seconde est actuellement en 2e année de CFC et a même de meilleures notes qu’au début de sa formation AFP. « La Poste est un des seuls employeurs qui m’a répondu. Je n’y croyais pas du tout après tous ces échecs », a-t-elle avoué. « On peut être très bon au travail mais avoir plus de difficultés au niveau scolaire. Mais pour ça le jeune peut être suivi et ensuite très bien y arriver », a également commenté Rachel.
Joëlle Carafa-Magnenat, responsable régionale de formation professionnelle initiale, a expliqué comment La Poste recrute ses apprentis en misant avant tout sur les compétences pratiques et sociales. « Les bulletins scolaires n’ont aucune importance en filière AFP, parce que ce sont des jeunes qui ont eu un parcours un peu chaotique, mais après ils se révèlent, et ils peuvent avoir des notes fabuleuses ensuite en filière CFC. »
René Würsch, responsable formation au centre courrier, a évoqué d’autres exemples de réussite et souligné l’apport de la mesure AccEnt (Accompagnement en Entreprise), qui présente selon lui un véritable plus: « L’avantage, pour l’employeur, c’est d’avoir un répondant qui s’occupe de tout : impôts, factures, caisse maladie... Car suivant si les parents ne sont pas derrière, c’est compliqué. Le point vraiment positif, c’est qu’au niveau du parcours scolaire, s’il y a des soucis, le répondant est là et c’est lui qui peut mettre en place des appuis. »
Cette mesure du Centre vaudois d’aide à la jeunesse (CVAJ), accessible notamment aux jeunes à l’aide sociale suivis par le programme Forjad, aux migrants soutenus par l’EVAM ou le CSIR et à certains apprentis envoyés par l’Office de l'assurance-invalidité, a ensuite été présentée par la directrice d’AccEnt, Donatella Morigi-Pahud (voir annexe), avant la partie réservée aux questions, qui a permis d’éclaircir certains détails sur les deux voies de formation – AFP et PAI – et de mentionner d’autres aides possibles pour les jeunes en besoin de soutien, telles que CoachApp et AppApp du Groupement pour l’apprentissage.
Feu vert des associations patronales
Baptiste Müller, de la FPV, a souligné que pour les entreprises, « c’est tout bénéfice de garder un apprenti en CFC après une AFP ». Et Pascal Foschia, de la FVE, a salué les efforts du canton pour valoriser la formation professionnelle. « Il reste encore à convaincre quelques employeurs qui ont peut-être encore ce retard en termes de perception de l’AFP », a-t-il dit, mais il s’est voulu optimiste : « Les entreprises attendent plutôt des jeunes qu’ils soient engagés, motivés, passionnés, comme les jeunes qu’on nous a présentés tout à l’heure », a-t-il conclu.
A l’heure de l’apéro, plusieurs participants ont remarqué qu’un grand pas avait été fait pour lever d’une part la stigmatisation attachée à l’AFP dans le canton de Vaud et d’autre part inspirer des patrons à engager un-e futur-e apprenti-e en PAI. Reste aux milieux économiques à créer des places de formation pour ces jeunes, afin de leur offrir un véritable tremplin vers une insertion durable sur le marché du travail.
Annexes :
>> Présentation IFFP par Barbara Duc
>> Pésentation AccEnt par Donatella Morigi-Pahud
A lire également :
>> Article dans l'Agefi: "Pénurie de main d'oeuvre? Formez des jeunes en AFP!" (07/11/2019)
>> Article dans 24 Heures : "Cesla Amarelle signe le retour en grâce de l'apprentissage allégé" (20/02/2020)
>> Article dans HR Today : "La stigmatisation de l'apprentissage en deux ans appartient au passé" (04/02/2020)
>> Article dans INFO! Bulletin d'information de la Fédération vaudoise des entrepreneurs No 17: "Une première marche vers la réussite" (Automne 2020)